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A l’heure du perce-neige…

  • Marie-Anne Lorgé
  • 6 mars
  • 10 min de lecture

Flotte un air de printemps…


Et ça fait du bien quand le fond de l’air effraie


En tout cas, au niveau des jardins plasticiens, notez que c’est la gravure qui d’emblée défie les giboulées typiques de saison.


Dès lors, d’Arlon à Walferdange, je vous guide au travers de deux expos consacrées à cet art (graphique) d’impression, redevable notamment d’un complexe ensemble de techniques – et d’outils – qui n’en finit pas de défriser le non-initié. Il est entre autres question de berceau, de gouge, de brunissoir, de taille-douce, d’eau-forte ou d’aquatinte, toute une terminologie, un florilège qui fait de la gravure un univers-mystère, un  monde de papier où le geste ouvre des histoires… de réel et d’impalpable.


Du reste, le réel et l’impalpable, c’est aussi le propos de Neckel Scholtus, qui, au CapE (Centre des arts pluriels Ettelbruck), prend appui sur la ferme de son enfance pour rendre hommage à son père agriculteur et questionner dans la foulée le devenir du monde rural. Pour le coup, il s’agit de photographies… scénographiées sur de vieux draps blancs, ceux du trousseau familial, des tissus de mémoire – rendez-vous plus bas.


Sinon, fini le défouloir collectif carnavalesque et ses jours gras, et donc, plus que 46 jours à attendre le gourmand mirage de Pâques avec ses oeufs de couleur semés par des cloches et lapins pondeurs …



Toujours est-il que mars, c’est le mois des nids de tout acabit. A commencer par celui de la poésie – celle-là qui fait de la résistance, mondialement célébrée à l’équinoxe de printemps, le 21 mars – et celui de la Francophonie. Ainsi, l’Institut français du Luxembourg nous invite à partager la langue française sous toutes ses formes en concoctant une programmation mêlant littérature, poésie, cinéma, conférences et spectacles, jusqu’au 30 mars.


Il y sera question de Liv Strömquist, autrice de BD féministe incontournable, ce, lors d’une soirée disjonctée, entre performance et théâtre, intitulée Une rose plus rouge (visuel ci-dessus), proposée au TNL par Christine Muller, jeune metteuse en scène luxembourgeoise, les 27- 28 mars à 19.30h et le 30 mars à 17.00h, de quoi prolonger les débats du 8 mars, date sacrée (depuis 1977) Journée internationale des droits des femmes.


Quoi qu’il en soit, le «Mois de la Francophonie» a commencé ce 5/03 avec la représentation, à 20.00h, à neimënster, de Insuline et magnolia, un monologue autobiographique taillé avec humour et tendresse autour d’une amitié, d’une rencontre avec le pouvoir de la poésie incarné par une jeune femme libre et solaire prénommée Fleur (ne ratez pas ce spectacle là où il passe), et ça continue ce 6 mars, à 19.30h, au Centre national de littérature (CNL) à Mersch, le temps d’un dialogue entre la tradition du conteur Peul selon Souleymane Diamanka, griot ouest-africain, et la «poétologie» de Tom Nisse, une matière à déambulation et contestation pour transposer peines, joies, souvenirs et amour.


Autrement, le dimanche 9 mars, à 14.00h, à l’Utopia, projection en partenariat avec le LuxFilmFest de l’avant-première du film d’animation Slocum et Moi de Jean-François Laguionie qui nous fait vivre un émouvant voyage, aussi romanesque qu’intime, en relatant  l'histoire de François, un jeune garçon qui, dans les années 50, construit une réplique du Spray, voilier légendaire sur lequel Joshua Slocum accomplit le tour du monde en solitaire qui l’a rendu célèbre en 1895


En fait, le mieux, c’est de consulter le programme complet sur institut-francais-luxembourg.lu


Par ailleurs, le célèbre photographe Steichen figurant au fronton de moult événements, dont l’expo de Lisa Oppenheim au Mudam (raccord avec mon  précédent post), notez qu’en mars, c’est le lancement de l’année de célébration des 70 ans de The Family of Man, un portrait global de l'humanité à travers 503 photographies, par 273 auteurs originaires de 68 pays, de l’illustre Edward Steichen. Présentée au château de Clervaux depuis 1994, l’expo a été inaugurée en 1955 au MoMA (Musée d’Art Moderne de New York) et a marqué un tournant dans l’histoire du médium.


Alors, expo historique et patrimoine photographique, inscrite au registre de la Mémoire du Monde de l’UNESCO depuis 2003, la collection entièrement restaurée est montrée dans les salles rénovées du château de Clervaux, depuis aujourd’hui jusqu’au 31 décembre, du mercredi au dimanche de 12.00 à 18h00h – visite guidée gratuite tous les dimanches à 16.00h, infos: www.steichencollections-cna.lu


A l’occasion de ce 70e anniversaire, s’organise aussi un cycle de 12 conférences, mettant en lumière – à travers des documents, des photographies et des récits – une dimension particulière de la vie de Steichen, de son œuvre, de son engagement et de sa vision artistique. Sous la houlette de Paul Lesch, ça se passe successivement au Centre culturel Clervaux (qui accueille également un colloque international le 24 mai, afin de comprendre les résonances de The Family of Man à travers le temps), au Cercle Cité (Luxembourg), au Musée national de la résistance et des droits humains (Esch), à la Konschthal Esch et au Cube 521 (Marnach).


Mais tout n’est pas dit. A partir du 17 mai, le CNA (Centre national de l'audiovisuel) présente Facets of Humanity: Works from the Teutloff Collection au DISPLAY01 à Dudelange: il s’agit de la première présentation au Luxembourg du fonds du collectionneur d'art Lutz Teutloff depuis son acquisition par le CNA en 2017. Enfin, le 20 juin, en collaboration avec le LUGA – Luxembourg Urban Garden, une conférence explorera les liens profonds entre la fleur de delphinium et l'artiste Steichen, qui, tout au long de sa carrière, a puisé dans la nature et la botanique pour nourrir sa vision artistique.



Pour illustrer les comportements amoureux de ses personnages, Marcel Proust s’est souvent inspiré du bouillonnement fécond, voire sexuel, qui agite nos parterres et herbes folles. Du reste, c’est tout le vivant animal que le printemps émoustille, et les araignées n’échappent pas aux techniques de drague.


Ce qui tout à trac me permet de vous dire que Tarantula Luxembourg, société de production cinéma – avec son fondateur historique, le réalisateur Donato Rotunno –, Tarantula, dis-je, souffle ses 30 bougies – un anniversaire célébré au Casino Luxembourg ce 8 mars –, annonçant dans la foulée la sélection de deux coproductions au 15e Luxembourg City Film Festival, à savoir: La voie du Serpent du réalisateur japonais Kiyoshi Kurosawa et Horizonte du réalisateur colombien César Augusto Acevedo, un film bouleversant sur le voyage autant physique que spirituel d’une mère et de son fils, à la recherche du père disparu du garçon, dans une Colombie ravagée par des décennies de guerre fratricide. Ce n’est que par d’énormes sacrifices qu’ils répareront les liens fragiles qui les unissent et trouveront peut-être la rédemption… – sortie en salles au Luxembourg le 26 mars.


A part ça, d’ici l’été – et les scènes de plage sur papier kraft de Moritz Ney, exposées dans la galerie Reuter Bausch, donnent déjà le ton (visuel ci-dessus, Sans titre_1518, 2024) –, deux barnums: l’Expo universelle 2025 qui s’ancre à Osaka du 13 avril au 13 octobre – le Luxembourg y tient un pavillon, conçu par l’atelier d’architecture STDM, une vitrine pour créateurs, designers (Julie Conrad, Georges Zigrand e.a.), musiciens & chorégraphe (Pascal Schumacher, Jill Crovisier e.a.), plasticiens (Aïda Schweitzer et son récit textile, Pitt Brandenburger avec son sculptural projet Fallen Trees) et photographes (regard croisés de Daniel Reuter) –, et puis Venise, avec sa 19e Biennale d'architecture, à partir du 10 mai – le pavillon luxembourgeois, installé à l’Arsenale, accueille Sonic investigations, une proposition immersive et radicale de Valentin Bansac, Mike Fritsch & Alice Loumeau, étudiant le rôle du son dans notre perception des espaces physiques.


De l’été, on a le temps d’en parler, mais y a pas de mal à déjà rêver aux cigales, alors, à Arles, lors des Rencontres de la photographie, notez que Carine Krecké va exposer son projet Perdre le Nord dans la chapelle de la Charité, et à Avignon, le plus grand festival de théâtre et de spectacle vivant du monde, parmi les 14 propositions luxembourgeoises à l’affiche du OFF, cochez En Quête de Fábio Godinho et Ce que j’appelle oubli, d’après le texte de Laurent Mauvignier adapté et mis en scène par Sophie Langevin, avec, pour incarner cette histoire de meurtre gratuit, un comédien transfiguré, incandescent, Luc Schiltz.


Retour à nos plates-bandes et à ce que mars y fait bourgeonner. En une première sélection de 4 expos.



Cap sur le CapE (Centre des arts pluriels) à Ettelbruck. Rencontre avec Neckel Scholtus, sa photographie, un regard unique entre le «je» et un univers agricole.


Des pieds nus ancrés dans la terre, les pieds du père dans une glaise hersée, comme s’ils prenaient racine: c’est par cette image que tout commence. Et c’est par ces mêmes pieds, mais chaussés et en mouvement, arpentant en boucle une prairie, que tout finit. Entre la photographie, ou plan fixe, du début, et la vidéo de la fin – une fin qui ne clôt rien mais ouvre un questionnement sur le présent de l’agriculteur, sur ses choix, tout comme sur le devenir du monde rural –, entre les deux, donc, un théâtre blanc, fait de draps de coton ou de lin, typiques de nos campagnes ou du trousseau familial d’antan.


Le drap fait partie de l’imaginaire collectif, c’est aussi un indice éminemment intime. Et c’est ce drap blanc, froissé par l’usage, que la photographe Neckel Scholtus privilégie dans la mise en scène de son travail.


Ce qu’elle y raconte, ce sont ses souvenirs d’enfance passée dans la ferme familiale, et partant de là, c’est un hommage qu’elle rend à son père. Sauf que sa photographie transcende le témoignage personnel pour rendre palpable un labeur avec toutes ses composantes invisibles que sont la sueur, l’abnégation, le perpétuel recommencement. Ce n’est pas une photographie documentaire, ce n’est pas non plus un exercice de nostalgie béate, ni surtout une vision bucolique ou idéalisée, c’est une plongée insolite dans un microcosme paysan familier, c’est un regard certes incarné mais particulièrement inédit posé sur les outils, les animaux, les saisons, la nature à travers la vie qui l’habite et le temps qui tout fait, défait et refait. 


Sur les draps, écrans blancs comme une mémoire, la photographe Neckel coud des fragments de réel, où le passé a incubé, où, grâce à la distance artistique, à la lumière, à la couleur, au cadrage, à sa poésie, sa tendresse, son humour,  ses ellipses, ses métaphores, ses alliances de formes ou de couleurs, de réminiscences et d’observations, de ressentis aussi, son étrangeté parfois, sa qualité picturale souvent, ce qui se donne à voir, et qui est aussi singulier que très attachant, c’est tout à la fois une quête de soi, un portrait paternel, une transmission, une personnification de l’univers agricole et une voix donnée à la réalité d’une ruralité qui doit s’adapter.


Dans l’espace d’exposition, deux zones closes par les draps, autant de présences fantômes. Sur chaque drap, une impression photographique en couleur sur toile, cousue à la machine au coeur du textile, sensible page blanche. On y déambule dans le sens des aiguilles d’une montre… et on prend la clé des champs jusqu’au 18 mars.



Ils sont cinq plasticiens à se partager les cimaises de la galerie Reuter Bausch 14 rue Notre-Dame, Luxembourg. Autour de la sculpture de Laurent Turping avec ses petits personnages hachés dans le hêtre –, un langage pictural en 4 leçons. Celle de Moritz Ney – par ailleurs aussi sculpteur , dont la joie de vivre fait danser les couleurs, en l’occurrence sur papier kraft, servies par une gestuelle flottante: en quelques coups de pinceau naît ainsi un monde aux allures de poème, d’une tendresse rude. Pour l’occasion, le peintre nous emmène à la mer. Tout comme Catherine Lorent Prix Grand-Duc Adolphe 2021.


Alors, dans son univers, Catherine, aussi musicienne, et performeuse, lie pour la cause musique (metal) et peinture (à l’huile, au demeurant sublime) cfr  Relegation, projet au long cours initié pour le Pavillon du Luxembourg, à la 55e Biennale de Venise en 2013. Dans la série actuellement exposée, qui hybride le réel, l’onirique et l’inattendu – c’est sa marque de fabrique , elle nous parle de l’océan, de sa beauté (physique et métaphysique), aussi du naufrage potentiel, et d’un personnage, minuscule devant l’immensité, d’une nudité existentielle, comme une sorte de projection à la fois d’elle-même – Catherine navigue et d’un ersatz de Robinson Crusoé, guitare en bandoulière (visuel ci-dessus). Un paysage maritime tendu avec humour dans une forme chantournée ou ovale, ou proche du blason.


Et c’est précisément dans un blason – l’artiste s’intéressant à l’héraldique en tant que reflet d’une société qui façonne la vie quotidienne à travers des rituels – que Catherine travaille le thème de la toile sonore. Dans It might get loud – titre qui fait référence au documentaire de 2008 de Davis Guggenheim explorant l’histoire de la guitare électrique –, une architecture, celle d’un club-house de Berlin, reclus dans un environnement verdoyant, entre ciel et eau, observé par un imperceptible quidam, guitare sur le dos: une composition à lire comme un constat de la disparition progressive des temples musicaux dans le paysage.


Et puis, il y a la quête d’identité version Álvaro Marzán, avec sa façon de brouiller dans la couleur des créatures qui tiennent à la fois de l’humain et de l’animal.


Enfin, il y a João Freitas, un artiste qui explore les notions de trace, de temps et de transformation des matières. Partant d’une affiche de hasard, dont il ponce l’envers, l’artiste surfe sur l’altération du matériau résultant du geste, pour obtenir au final une surface qui confine à l’abstraction. Dans la série Don’t you fade away, au commencement, il y a un dessin trouvé, plié en feuilles A4, rongé par la pluie et autres résidus, et l’artiste d’observer le travail de l’usure, entre effacement et dissection, au point de mettre à nu des couches cachées, comme s’il s’agissait de peaux dépecées générant un nouvel organisme. C’est troublant, inspiré et sensible, comme aussi quelque chose aussi de l’ordre du suaire.


Navigation et disparition/apparition jusqu’au 22 mars, infos: www.reuterbausch.lu 



La gravure, comme l’hirondelle, fait le printemps. La preuve en deux lieux atypiques, l’Espace Beau Site à Arlon et le CAW – Walferdange.


La gravure, c’est une affolante diversité technique – pour les uns, il suffit de distinguer le travail en creux (cfr la taille-douce) et celui en relief, pour les autres, il s’agit de différencier ce qui est mécanique (cf la pointe sèche, outil & procédé de gravure... en taille-douce) et ce qui est chimique (action du mordant, de l’acide, cfr aquatinte et eau-forte). Vous suivez ?


Et tout n’est pas dit d’autres pratiques ou processus (dont le sucre, le monotype), ni des supports possibles, le bois, la pierre, le linoléum, le plexi, le Tetra Pak, hormis le zinc.


Pour nous familiariser, voire nous initier, chacun des deux lieux ouvre une brèche dans les coulisses de l’art gravé. L’un – l’Espace Beau Site – en reconstituant l’Atelier gravure de la MJC VIllerurpt animé par Nicolas Venzi, le second – le CAW – en diffusant en boucle une vidéo réalisée par Empreinte, atelier de gravure asbl fondé en 1994 à Luxembourg.


Nicolas Venzi expose chez Beau Site aux côtés de 4 autres artistes tous issus de l’Académie des Beaux-Arts d’Arlon. Quant au CAW, il accueille précisément les créations de 20 des membres d’Empreinte (cfr visuel ci-dessus, monde en noir et blanc d’Anneke Walch).


Pour tout clarifier, je me propose de commettre un post à part. D’autant que la gravure, c’est aussi, et avant tout, une dynamique thématique aussi foisonnante que sensible. Où le figuratif cohabite avec l’abstrait, et le dessin avec le goût des encres. Où l’humain se mesure à son environnement, à sa boussole intérieure aussi.

 
 
 

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