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Marie-Anne Lorgé

Avant de ranger les parasols

C’est le chassé-croisé des cartes postales et des boîtes à tartines. Les sous-bois sentent déjà la noisette, les hirondelles s’accrochent aux fils électriques comme des notes sur une partition, le jour tombe de sommeil plus tôt avec sa lumière rase comme un œuf pâle et la nature torréfiée par un soleil trop assidu (ça a épuisé les stocks d’éventails) s’habille déjà d’automne. Décor idéal pour battre la campagne et se sentir au bout du monde, le silence en bandoulière, une bonne paire de jumelles aussi (sachant par exemple que la Rousserolle est pudique).



Se dépayser… dans le paysage, celui de ces réserves naturelles qui s’étirent tout près de chez soi et pourtant méconnues – c’est que, oui, pas simple de résister à faire rimer son été avec avion et plage ou lointain exotique, du reste, malgré les temps qui courent, rarement on a vu à ce point les mots «départs» et «vacances» se conjuguer à l’impératif.


En tout cas, pas de quais ni de tongs, pas de foules ni de monuments, nous voilà dans ces réserves naturelles valorisées par le programme estival de la capitale européenne Esch 2022, perfusé par le leitmotiv du plein air, du développement durable, de la biodiversité et de l’émerveillement incubant dans le respect.


Perso, pour en avoir entendu parler sans avoir jamais mis mes pieds randonneurs dans l’«Ellergronn» ni dans la «Haard» (photo ci-dessus), je suis revenue conquise de ce sud aux Terres rouges, qui doit son nom, «Minett», au minerai de fer rouge vif qui hirsute toujours le paysage tout en le colorant.


C’est un Minett palimpseste, encore tatoué par l’exploitation humaine, les empreintes ou vestiges de l’ancienne industrie minière, mais aujourd’hui mangé par une nature qui reprend ses droits et qui, en réinvestissant, réécrit autre chose sur la topographie. Et la bonne idée, à coups de projecteurs relayés sur chacune des communes dudit Sud, c’est de convoquer des regards d’artistes. Le temps d’un parcours balisé d’oeuvres ou d’interventions et de performances, les inviter à questionner le devenir du paysage. Et nous y sensibiliser. Le changement de braquet de notre perception est souvent immédiat.


Déjà qu’arpenter à pied ou à vélo est un bain sensoriel garanti. Aussi un rapport différent au temps.



J’ai déjà parlé de la «Haard», à Dudelange, qui, en son magnifique coeur vert a accueilli les irrésistibles «Acoustic Picnics», aussi déjà évoqué l’«Ellergronn» – qui se répand autour du Centre nature et forêt à 2 km au sud d’Esch-sur-Alzette – et les deux monolithes, sortes de grosses météorites débarquées d’une autre dimension, qui se plantent dans le théâtre de verdure, l’une, due à Sergio Carvalho, offrant une expérience inédite, une immersion aussi physique que poétique dans ce moment de vertige qu’est l’heure bleue, et la seconde conçue par Franck Miltgen qui duplique un récif corallien.


Pour ce qui est de l’itinéraire du jour, c’est Kayl, et ses anciennes mines de fer à ciel ouvert converties en réserve naturelle, avec la «Léiffrächen», patronne des mineurs, et sa chapelle-grotte mémoriale, comme point de départ d’un circuit qui, sur 3 kms, emprunte la piste cyclable jusqu’à Rumelange au Laangegronn, avec, de part et d’autre, les propositions photographiques et sculpturales de 9 artistes du coin formant une galaxie aussi composite que l’est le panorama, truffé de roches rouges, de forêts et de prairies sèches. Pour la cause, l’expo «open air» s’intitule Landscapes. Pour dire le paysage à la fois comme acteur et comme scène de paysages réinterprétés, construits, voire fantasmés.


J’ai pris la route un après-midi de cagnard. Hors visites guidées (organisées sur les deux week-ends des 6 & 7 août et 20 & 21 août), ratant du coup les actions chorégraphiées et musicales de Jill Crovisier et de Pol Belardi, par définition éphémères, tout comme les drôles de machines bricolées par Misch Feinen à partir d’anciennes sirènes d’usines récupérées, détournées afin de «couvrir le paysage silencieux de nouveaux sons».


Il n’empêche, ce que rencontre d'abord le marcheur, c'est l'installation photographique de Lynn Theisen, de très grands formats sur bâche dressés au début du parcours, autant de montages inattendus (une sélection de 10 sur un total de 22 rassemblés par Lynn), autant de récits imagés, éminemment esthétiques et colorés, de ce qui «a contribué à changer l'identité de la région»: ça va des cônes rouges et blancs de signalisation titubant autour de décombres simulant une nature en travaux à la découpe/collage de caricaturaux petits dessins de mineurs de jadis affairés à l'extraction, en passant par une «tiny house« miniature en plastique, imitation Playmobil, juchée dans les branches comme un hôtel à insectes, mais où des figurines jouent les scènes quotidiennes d'un théâtre humain aussi ironique que surréaliste.


Sinon, parmi les sentinelles permanentes, je croise la double «table d’orientation» de Claudia Passeri (photo ci-dessus), œuvre autobiographique, en rapport intime tant avec l’environnement – celui de ses promenades de jeunesse – qu’avec sa famille, des immigrés ouvriers communistes italiens. Montée sur piliers de métal, l’œuvre est une ferronnerie – labeur invisible des personnes oubliées qui ont forgé le patrimoine de la région – mais une ferronnerie textuelle, dont les lettres enchaînées composent une phrase à double sens, à savoir: «Nous avons remué terre et ciel, nous avons remué ciel et terre», et cette phrase malléable qui ondule comme un serpent est une allégorie de la beauté du geste, de l’importance de l’effort individuel et collectif, repérable de façon indélébile dans le façonnage de l’horizon. Où percole, grâce à Claudia, une dose de poésie... rédemptrice.



Autres sentinelles sont les Anthroposcapes (photo ci-dessus), ces gros volumes de fonte semés comme de monumentaux cailloux de rouille par Serge Ecker, fasciné par cette époque significative à l’échelle de l’histoire de la Terre qu’est l’Anthropocène, quand l’être humain a impacté la géologie et les écosystèmes.


Chaque volume est un fragment (tridimensionnel) de paysage, avec, en surface, une cartographie des traces du travail de l’homme et de ses machines, des traces visibles raccord avec les personnels souvenirs de terrain de Serge, qui en réalise une capture numérique, ensuite rematérialisée. Au final, pour reprendre les propos de l’artiste, ces Anthroposcapes sont des aide-mémoire(s) post-numériques (produites par la fonderie Massard) qui «montrent la topographie du site qui se transforme chaque année par une nature qui cache les plaies après l’arrêt de l’exploitation du minerai de fer».


Ce qui clair, c’est que Landscapes est une expérience singulière à partager en famille, 7 jours/7, jusqu'au 31octobre.



Enfin, sur la route de votre été de proximité, voici encore 5 escales qui ne se ratent pas.


Alors, vite dit, vite su:


Au Kufa Summer Bar qui reste ouvert du mardi au samedi (de 17.00 à 01.00h), notez l’Oriental Mix Party by DJ Kish Mish le 02/09 ainsi que la soirée karaoké du 09/09, sachant que dans le Ratelach, le bistrot de la Kulturfabrik, Menina Camarada aka Ana Filipa Martins, calligraphe autodidacte, féministe et poétesse, expose (jusqu’au 22 octobre) «ses propres symboles, inspirés de l’alphabet arabe, hébraïque et farsi, qu’elle superpose sur des images trouvées dans des livres et magazines» (photo ci-dessus).


Toujours à Esch-sur-Alzette, à la Konschthal où les expositions metalworks – designing & making et Distance de Jeppe Hein se terminent le 4 septembre – lors d’un «Family Day» –, cochez la performance «Music on Metal» de Mudaze ce 1er septembre ainsi que la performance dansée par Lucoda, Au corps du mécanisme, le 03/09. Infos: konschthal.lu


A Luxembourg, autre performance à signaler, celle de Marie Capesius, intitulée Tour de Table, qui a lieu le 3 septembre, 16.30h, à la galerie Reuter-Bausch (14 rue Notre-Dame), là où l’expo collective The Third Act réunissant les oeuvres de Jack Hilton, Julien Hübsch, Pit Riewer et Marie Capesius expire le 10 septembre. Infos: reuterbausch.lu


A Bonnevoie, à la Banannefabrik (12, rue du Puits), le TROIS C-L (Centre de Création Chorégraphique Luxembourgeois) reprend le cours de ses soirées mensuelles «3 du TROIS» tombant chaque fois… le 3 du mois. Et donc, le 3 septembre, à partir de 19.00h, la soirée sera consacrée aux ponts invisibles («entre les personnes, leurs environnements et différentes cultures») tels que chorégraphiés par Modestine Ekete, Léo Lérus et Urszula Bernat-Jalocha. Réservation: j.geesmann@danse.lu Attention, le nombre de places est limité, donc «premier arrivé, premier servi»!


Et pour conclure, un détour par le LUCA - Luxembourg Center for Architecture (1, rue de la Tour Jacob, Luxembourg), le temps d’une table ronde (en français) axée, le 5 septembre, à 12.00h, sur la place de l’architecture dans les capitales européennes de la culture. En compagnie de Simone Beck (présidente de la Commission luxembourgeoise pour la coopération avec l'UNESCO), de Nancy Braun (Directrice générale, Esch2022) et d’Erna Hennicot-Schoepges (ancienne membre du Parlement européen et du jury des Capitales européennes de la culture). Nombre de place limité, sur inscription uniquement: office@luca.lu

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