Entre jubilation et mélancolie, Trixi Weis, une créative touche-à-tout pur jus, est adepte d’éphémère et de sucre. Toujours raccord avec la nature et toujours en campagne contre les pensées qui formatent ou corsètent. Portrait multidirectionnel.
Dire que le confinement n’a eu aucune prise sur Trixi est à la fois vrai et faux. En tout cas, il a percolé dans le travail qu’elle a expérimenté à Bourglinster, en mars, dans le contexte de Jamais Peut-être, une résidence artistique – idéal bocal confiné – partagée sur le mode du cadavre exquis avec Nora Wagner, Aurélie d’Incau et Carole Louis. Le résultat a été présenté lors d’un télé-vernissage le 5 avril, mesure sanitaire oblige.
Si vous avez raté le coche, sachez que Trixi a compilé ses créations «bourglinstériennes» en une vidéo diffusée mi-juillet, en clôture de sa «Squatfabrik», du nom de ce programme de courtes résidences artistiques estivales mis sur pied par la Kulturfabrik d’Esch. Si, là aussi, vous avez raté la marche, ce texte éclairera votre lanterne, d’autant qu’il fait le pont avec deux nouveaux projets, où il est question de bonbons et de destruction.
Trixi, plasticienne allant et venant entre sculpture, installation, dessin, performance et vidéo, née en 1967 à Luxembourg, est un curieux mélange de rêverie et de «tristerie», de solitude et d’amitiés sélectives, d’ombres et de lumières. Un côté bohème, mais néanmoins structuré. Le sourire n’est jamais loin, le coup de gueule non plus… sans toutefois que le ton soit belliqueux.
Toujours est-il que Trixi et moi avons décidé de partager un café du matin, un moment serein pour parler… de gourmandise, puisque ce défaut pas vilain du tout infuse grosso modo son travail. Mais le moins que le puisse dire, c’est que le post-Covid la trouve fébrile, et je m’y attarde parce que cet état trahit l’engagement du personnage. Fébrile, donc, car trop sollicitée, impliquée en faveur du statut des artistes, de leur reconnaissance comme ciments et moteurs de notre société. Trop sollicitée et du coup, pas assez disponible pour la création. Elle en bave, jusqu’à frôler la déprime. Ce qui en fait une candidate de choix pour cet antidote qu’est le chocolat, dont, du reste, elle se sert pour façonner des clés, par ailleurs aromatisées à la menthe, au raisin noir et à la bergamote.
Trixi aime manger des fleurs – patience, je vais vous expliquer – , en même temps qu’elle aime… se battre. Se battre sur le front des arts visuels. Ou plutôt, l’occasion faisant le larron, c’est mobilisée par l’urgence, en 2013, à représenter et défendre les droits des professionnels du secteur qu’est née l’Aapl (Association des artistes plasticiens du Luxembourg), une asbl qui compte 150 membres et qu’elle préside toujours.
C’est d’ailleurs en cette qualité que, depuis mai 2019, elle participe à un Comité de pilotage – 14 membres y représentent notamment les arts de la scène, la littérature et l’architecture – , ce, «en vue de la création l’asbl de préfiguration Kultur:LX et du futur établissement public du même nom», cela qui correspond, en fait, à cet «Arts Council» luxembourgeois dont on parle depuis belle lurette, préconisé par le KEP (Kulturentwécklungsplang) et enfin entériné par le programme gouvernemental.
S’il ne s’agit pas ici de touiller dans la marmite de politique culturelle, ni de s’étendre sur les compétences et la technicité de cette future structure salvatrice, pour autant, Trixi, qui aspire donc à pouvoir davantage se consacrer à son travail artistique, ne peut s’empêcher d’embrayer sur l’Aapl, de légitimement se réjouir d’une victoire de taille confortant le rôle de lobbying de l’Aapl, à savoir: l’ouverture en octobre 2020 des «Ateliers Aap», sis rue Auguste Lumière (Luxembourg, Verlorenkost), dans les anciennes habitations du service de la police: «la discussion remonte à 2017, impliquant trois ministères, Finances, Culture et Développement durable, mais c’est la première fois que l’Etat met gratuitement des lieux au service des artistes, selon une convention renouvelée par année. Il n’y aura pas de loyer mais une participation aux frais de 10 euros/m2 par mois.»
«C’est du concret, mais c’est politique quand même» dit Trixi, qui reconnaît que «l’action de l’Aapl s’est politisée, que ça lui déplaît mais que c’est nécessaire».
Retour boomerang à l’artiste. A son goût du comestible, et à son corollaire qu’est l’éphémère, puisque le comestible… pourrit.
On remonte à 2005, à la 2e édition de Sous les ponts, le long de la rivière..., expo présentant dix-huit interventions d'artistes sur un parcours reliant le Casino Luxembourg au site des «Trois Glands», en passant par les vallées de la Pétrusse et de l'Alzette. Trixi, inspirée par une résidence à Düsseldorf, par un bouquin vantant la Cuisine aux fleurs et par réaction à la manie des restos d’alors d’agrémenter leurs plats de pétales à un coût exorbitant, Trixi, donc, installée dans une roulotte, «proposait à bas prix une boisson à la rose et distribuait à tous des cartes recettes». «C’était ma première installation du genre, qui, plus intimement, correspondait à ma trajectoire personnelle, à ma redécouverte, en 1997, du vert paysage de Luxembourg. Que j’avais quitté à 17 ans, en écoutant du Led Zeppelin, pour aller étudier à Prague mais d’abord à Bruxelles. A La Cambre, dans mon travail de fin d’études, il y avait déjà des plantes, dont une chaise Art nouveau faite en plantes grimpantes».
Du reste, la chaise, cet accessoire familier que Trixi a exploité en résidence à Bourglinster, matérialise le thème de l’attente mais aussi de la solitude et surtout, de l’absence: c’est d’ailleurs dans cette faille temporelle éminemment émotionnelle que baigne également l’actuel projet de Trixi, un projet arrimé à la notion de destruction, tributaire d’un «crash test» – l’exposition de cette dernière installation est prévue en janvier au Centre d’art Dominique Lang à Dudelange (je vais y venir).
En tout cas, c’est à La Cambre que Trixi s’est appropriée «une théorie disant que pour se vendre, l’artiste devait non pas innover mais se répéter». C’est partant de là que Trixi a opté pour l’éphémère. Qui passe par le végétal mais aussi par toutes les matières fragiles. Donnant lieu par exemple, en 2003, à un bateau de papier, une installation intitulée Il était un petit navire, mouillant en solitaire au bord de l’Alzette, où la pêche est de poésie. Sachant que la poésie, c’est une comète qui filtre tout l’imaginaire de Trixi…
En attendant, à Bourglinster – «où le principe général de la résidence, c’était de jouer et de s’amuser» – , Trixi a fait le tour ses délires, amours et démons, servis par son savoir-faire de scénographe (d’équipement), lequel trahit son appétit pour les accessoires et les costumes, les maquettes aussi, hormis un plaisir non dissimulé de se mettre en scène elle-même car, «toute petite déjà, j’adorais me déguiser».
«En fait», dit-elle, «comme les magasins étaient fermés, j’ai fait avec ce que j’avais sous la main». En vrac, ça a donné «Am stram gram», la comptine enfantine appliquée au jeu de la chaise musicale (encore elle), ça aussi donné une espèce de porte-voix dont l’artiste s’est affublée histoire de se protéger des crachats viraux: ce clin d’œil à la fois au Bauhaus, à l’esprit dada de Schwitters, au vieux label musical «La voix de son maître», au collier de récupération des chiens, voire à la coiffe périgourdine, prouve que Trixi ne rate aucune occasion de badiner avec l’humour.
De Jamais peut-être (la résidence), «un catalogue est à paraître, en cent exemplaires, sous la forme d’une boîte pleine de choses: cartes postales, puzzles et… une clé en bonbon». Ces mêmes clés qui se mangent que Trixi a donc exposées – «c’est une répétition en même temps qu’une prolongation» – à Esch, dans la «Squatfabrik », là, aux côtés d’une grappe de photos, dont une met en scène un canapé, un élément de décor rangé dans un couloir en prévision d’une scène de ciné. C’est un canapé vide, pathétique. La photo est insolite, «comme une installation qui n’en est pas une», mais de qualité picturale et avec un étonnant potentiel narratif. Tout comme une autre série de clichés trouant la nuit, où là, encore, l’humain est absent.
Dans la même «Squatfabrik», le noir a cohabité avec la lumière. Dans une boîte blanche – voici enfin dévoilé le projet précité/annoncé du «crash test» –, un faisceau lumineux éclabousse l’inéluctable drame d’une voiture lancée contre un mur. Laquelle voiture, gabarit miniature, est une maquette fabriquée en pâte à sucre – «ce sucre dont se gave et qui est une addiction sociétale» – ou en hostie, collée au blanc d’oeuf, matière particulièrement délicate, gustative aussi, et qui fait écho à une liturgie, à un rituel. Le tout est actionné grâce à un invisible fil nylon. Au final, c’est de l’épure… pour exorciser le traumatisme, en l’occurrence lié à un accident de vitesse qui a coûté la vie à une amie.
Par extension, ce projet de construction/destruction intitulé Empty Emptiness – «une fausse redondance» –, aurait une vertu thérapeutique, susceptible de nous «débarrasser des agressions journalières, du matérialisme ou du non-sens ambiant (avec l’achat de trucs qui ne servent à rien)». Trixi y lit surtout une projection d’un vide existentiel, plus précisément, de son actuelle difficulté à créer: le spectre de la page blanche.
Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. A l’horizon de 2022 – Esch promue capitale européenne de la culture –, dans le cadre des tiers-lieux culturels, ces lieux de réhabilitation de friches intégrant la population locale, lieux initiés/financés par l’Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte, en partenariat avec l’asbl Esch 2022, il y a FerroForum, sur la friche de Schifflange: on y croisera Misch Feinen (je vous en ai parlé dans mon précédent article consacré à DKollektiv, collectif d’artistes investi dans la revitalisation culturo-citoyenne de l’espace Vestiaires de l’ancien site industriel de Dudelange), on y retrouvera Trixi Weis avec sa Kamelleschmelz, une installation illustrant par la production de bonbons les procédés d’une usine sidérurgique.
Dans «le grand hall de l’ancien atelier central, sur une table de 6 m», Trixi entend construire une mini fonderie: «la base de sucre passant dans le laminoir nécessite/induit tout un procédé technique complexe, fût-ce au niveau des températures afin que ça ne colle pas» – ce projet, en collaboration avec Paul Wurth, inclut des conférences et workshops sur la sidérurgie.
Globalement, sur Esch 2022, Trixi ne se répand pas, «personne n’y comprend rien». Sinon, à la question de savoir quel est son meilleur souvenir, Trixi rebondit immanquablement sur l’Aapl, sur sa campagne de sensibilisation quant à l’importance du 1 % – représentant le pourcentage du coût total d’un édifice public à affecter à l’acquisition d’œuvres artistiques à intégrer dans l’édifice – et plus largement, quant à l’importance des œuvres réalisées dans l’espace public, ce qui a donné lieu, en 2017, à une exposition au LUCA (Luxembourg center for architecture) et à une publication intitulée REPÈRES, l’Etat de l’art public au Luxembourg.
Photo de Sven Becker: Trixi Weis fait le mur (celui du ministère de la Culture)...
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