Sur fond de tulipes, de magnolias et de lapins pondeurs d’œufs de Pâques, je m’en voudrais de taire la sortie du dernier opus du «faiseur de romans en poésie» qu’est Antoine Wauters (qui avait participé au Printemps des poètes-Luxembourg en 2013, lequel Printemps, pour rappel, fête sa 15e édition les 22, 23 et 24 avril). Et donc, dans Le musée des contradictions, les personnages d’Antoine, en douze nouvelles, clament leur colère en même temps que leurs envies («aller en paix à la mer, recommencer tout dans les bois», mordre, faire s’échapper les personnes âgées des homes, élire des ministres «de la planche à roulettes et du songe»), tout en tentant «de changer le cours des choses, de relancer les dés». Je me suis dit que ça faisait sens de vous dire ça.
Comme de vous parler de Marie (Fizaine) – un visage de Gaume –-, d’Emmanuel (Levinas) – et sa pensée célébrant «le visage comme objet sensible» –, de Carl (Norac) – et ses poèmes écrits pour surmonter les cérémonies sans visages. Et de Marguerite (Yourcenar) aussi.
Poétesse et romancière, Marie Fizaine, aussi secrète qu’intuitive, était très attachée à sa terre, la Gaume – cette région du sud du Luxembourg belge où poussent des épiphanies artistiques, à l’exemple notamment du magique Centre d’art contemporain (CACLB), sur le site de Montauban-Buzenol, où je m’attarde à chaque saison. Et c’est encore le cas, avec l’expo Cœur Vaillant où 7 artistes brodent des récits.
Mais le récit de Marie, c’est à Chassepierre qu’on lui doit de fécondes pages, fondant sur la poésie une «Fête des artistes» d’où a germé, et croît toujours, le renommé Festival international des artistes de rue. Marie nous a quittés le 27 février 2021, à l’âge de 92 ans. En toute discrétion. A son image. En mémoire, l’Académie luxembourgeoise nous convie à une rencontre de cœur le samedi 30 avril, à 16.00h, le temps de faire un tour dans la vie, les poèmes et les romans de Marie Fizaine, de nous révéler ainsi une femme et une oeuvre de sensibilité. Ça se passe dans les locaux de l’Académie luxembourgeoise à Arlon (5 Parc des expositions, bâtiment jouxtant la Maison de la culture).
J’ouvre ici la parenthèse à l’allure d’échappée belle qu’est donc Cœur Vaillant au CACLB (Centre d’art contemporain du Luxembourg belge): une expo qui a «pour outil de prédilection le textile et ses techniques ancestrales». Et un lieu implanté sur le site à la fois forestier, promeneur, patrimonial, archéologique et mythique de Montauban-Buzenol (commune d’Etalle, 20 kms d’Arlon) où l’imaginaire créatif chausse ses bottes de sept lieues. C’est irrésistible, surtout à l’orée du printemps: promesse garantie d’une escapade au vert inédite et d’un plein des sens.
Alors, Coeur vaillant rassemble 7 artistes, Elodie Antoine, Sam Druant, Jot Fau, Daniel Henry, Odette Picaud, Rachel Sassi et Ibn al Rabin, qui «gardent en héritage les codes et les traditions associés aux arts textiles mais s’en affranchissent et en jouent avec humour, poésie et pertinence».
Cœur vaillant se déploie d’abord dans l’Espace René Greisch, structure composée de quatre containers maritimes vitrés permettant à l’art d’être soluble dans la nature, et vice versa.
Au rez-de-chaussée, une renarde (empaillée) nous accueille, empêtrée dans une singulière et épaisse chasuble faite d’une accumulation d’anciens tissus glanés, rapiécés à la main, de broderies, plumes, médailles et d’où surgissent des têtes de poupées. Atmosphère étrange, qui tient à la fois de l’ex-voto, de la châsse d’un rituel païen et du récit hybride, entre vécu personnel, conte et légende médiévale revisitée. Au bout du fil, au bout de ce travail de couture et d’assemblage conférant un pouvoir narratif, sinon spirituel, à la passementerie, il y a Fanny, Odette Picaud de son nom d’artiste – emprunté un jour à la propriétaire d’une vieille boîte à chaussures trouvée, bourrée de souvenirs devenus dès lors les trésors catalyseurs du mode à créer de Fanny, originaire de Bretagne, autre terre de légendes.
On retrouve Fanny au dernier étage de l’Espace Greisch avec des hybridations de plus en plus énigmatiques, à mi-chemin entre le chamanisme, le sacré et le fantastique: on croise la poupée Marie-Madeleine, du moins sa tête ceinte de dentelles, crottes de lapin et papier mâché, une licorne détournée en biche (mais sans doute est-ce le contraire?), costumée de guipure blanche, coiffée de perles, et des étendards, typiques des processions, festives ou religieuses – celles, du reste, que l’artiste, fondue de performance(s), met en scène en bord de mer, histoire «d’inventer de nouveaux rituels, de nouvelles raisons de marcher ensemble».
Fanny, c’est un curieux mais puissant théâtre – dédié à la féminité –, c’est une construction de récits sur les récits. Et dans le décor, au premier étage de l’Espace Greisch, il y a Elodie Antoine (née à Virton) et ses créatures en cheveux: de longs cheveux blonds tantôt noués en chignons, tantôt ornés de rubans ou sertis d’un diadème, autant d’accessoires de princesses… sauf que la fable qui accouche de ces monumentaux catafalques chevelus est un tantinet plus angoissante, la matière utilisée étant en fait du chanvre, fibre opaque et impénétrable.
Autour d’Elodie, sur les murs, voici les tapisseries figuratives de l’Anversoise Sam Druant, tuftées à la main, où, grosso modo, entre dragons et autres chimères médiévales, le Prince charmant est prié «d’aller se faire voir». De l’ironie montée sans ambages en sauce (cavalièrement) féministe.
Avec Daniel Henry, dans le Bureau des forges, petit bâtiment blanc voisin de l’Espace Greisch, c’est la bascule. De l’intime. De l’épure. Du silence. Avec une série qui parle en noir/blanc de la main par le gant, symbole de déférence, de loyauté. C’est un long gant, une empreinte sérigraphique sur toile de lin, une incarnation de l’absence/présence déclinée de neuf façons différentes, à chaque fois pétrifiée dans l’action, celle de caresser, de recevoir, de bénir par exemple, ou, au contraire, d’abuser, de détruire, ce, en fonction de motifs symboliques (coeur, hostie, clé, serpent, poignard, et cetera) brodés en minuscules perles de couleurs. C’est comme écouter des «histoires de chevaliers réunis autour d’une même table, d’une même quête, d’un même amour» (photo ci-dessus: Daniel Henry, Eternity, 2020).
Dans un même temps, le textile, selon Daniel Henry, charrie un potentiel quasi liturgique. La preuve avec un troublant vélum drapé or/argent, percé en son centre d’une croix noire, perméable à la lumière, comme «une frontière entre l’ici et l’ailleurs, entre le visible et l’invisible: ce vélum questionne la notion du territoire spirituel».
Infos:
CACLB, Centre d’art contemporain du Luxembourg belge, site Montauban-Buzenol: Cœur vaillant, expo collective conçue et mise sur pied par Dorothée Van Biesen (de Jemelle), diplômée de création textile. Accessible jusqu’au 29 mai, les samedis et dimanches de 14.00 à 18.00h (du mardi au dimanche de 14.00 à 18.00h durant les vacances scolaires). Entrée libre. Infos: www.caclb.be
Programme cadre: La Dame à la Licorne – Une métaphysique de l’être à travers six tapisseries du XVe siècle: conférence de Jean-Paul Couvert, le mardi 26 avril, à 18.00h, à Etalle, 35 rue du Moulin (sur réservation, tél.: +32. (0) 63.22. 99.85 ou bureau@caclb.be). Et sur le site de Montauban, le samedi 28 mai, à 15.00h, pièce sonore de Rachel Sassi et Ibn al Rabin, entrée libre.
Autres visages
Carl Norac est ce poète national belge qui, lors de la pandémie, avec ses enterrements solitaires, sans visages et sans paroles, initia Fleurs de Funérailles, des poèmes écrits en hommage à nos disparus, à la demande des endeuillés, en réponse à leur besoin de tenir debout. Et voilà Carl Norac qui, face à l’abcès planétaire, dégaine un recueil de Petits poèmes pour y aller, autant de poèmes randonneurs où il est question de métiers magnifiques, dont gardien d’iceberg, effaceur de bruits, berger d’oiseaux, rêveur d’autres mondes.
En tout cas, le visage, c’est précisément un concept cher au philosophe franco-lituanien Emmanuel Levinas, qu’il résume comme suit: «Dès que je suis en face d’un homme ou d’une femme, d’un visage, j’en suis responsable».
Et voilà qu’au Escher Theater, partant de fragments de textes, d’images, de sons et d’extraits d’interview, portés par quatre comédien·ne·s, le spectacle Visage/ Veidas (90 min. en français) traduit la pensée de Levinas dans notre quotidien (photo ci-dessus: © Galbats). Quand? Ces 21, 22 et 23 avril, chaque fois à 20.00h (un projet commun entre Kaunas et Esch-sur-Alzette, capitales européennes de la culture 2022).
L’homme qui cherche mais ne peut taire la vérité au milieu de ses contemporains – il y perdra sa liberté, puis sa vie –, c’est Zénon, incarnation, à bien des titres, de l’humaniste, homme de la Renaissance, à la fois clerc, philosophe, médecin et alchimiste, «dont les péripéties peuvent nous aider à appréhender non seulement son époque, mais aussi la nôtre en ces temps incertains». Et Zénon, c’est le personnage taillé par Marguerite Yourcenar (1903- 1987) dans son célèbre roman L’Œuvre au noir (1968), adapté par André Delvaux en 1988.
Alors, voilà, deux soirées rendent hommage à l’oeuvre, à son autrice et au réalisateur, ce, à Cinémathèque de la Ville de Luxembourg, avec la participation exceptionnelle de l’actrice Marie-Christine Barrault. Concrètement, ça se passe comment? Le mercredi 20 avril, à 20.30h, projection du film de Delvaux, précédée d’une courte introduction par Marie-Christine Barrault. Et le jeudi 21 avril, à 20.30h, projection du documentaire Zénon, l’insoumis de Françoise Levie, suivie d’une lecture par Marie-Christine Barrault de La lente fougue flamande de Marguerite Yourcenar. En français (réserv.: www.luxembourg-ticket.lu ou tél.: 4796. 2644).
Soirées organisées par l’Institut Pierre Werner en collaboration avec la Fondation CANDIDA (sous l’égide de la Fondation de Luxembourg) et les ambassades de Belgique et de France. Infos: www.ipw.lu
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