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Marie-Anne Lorgé

En accordéon

Dernière mise à jour : 1 févr.

Déjà janvier se fait la malle, filant droit vers février, mois qui sent la crêpe (surtout le 02, jour festif baptisé Chandeleur, avec, selon la tradition, le lancer de la première crêpe de la poêle au-dessus de l’armoire, avec ou sans pièce de monnaie tenue dans la main, histoire d’éloigner la misère) tout autant que les tambours des premiers carnavals…


J’ai dit tambours ?

Fort bien, dans mon post, le son tient la note.



Et ça commence aux Rotondes, avec Turn On, un petit bijou d’expo qui «a plus d’un (45) tour(s) dans son sac» et nous plonge dans l’univers … du phonotrope, un dispositif illusionniste (visuel ci-dessus, photo ©Mike Zenari). Je vous explique par l’exemple un peu plus bas, sachant que Turn On est l’expo phare de Fabula Rasa, festival qui explore l’art de raconter des histoires autrement – et justement, chaussez vos baskets pour ne pas rater Rosa, le théâtre de marionnettes du  groupe suisse Sgaramusch qui rapproche le jeune public (dès 7 ans) de la vie exceptionnelle de Rosa Luxemburg  «et bouscule les esprits en posant la question brûlante: à quoi ressemblerait le monde si nous avions tous un gros morceau de rose en nous?» encore ce 30 janvier à 15.00h.


Raconter des histoires autrement, c’est aussi la belle vocation de cet autre univers dont on croit tout connaître mais qui est singulier et d’une créativité inouïe, à savoir: le livre d’artiste. Certes, en rien sonore, pour autant il est question d’accordéon, non pas l’instrument bien sûr, mais une technique de pliage en soufflet, une forme aussi appelée «leporello» par allusion au valet de Don Juan qui présenta à Donna Elvira la longue liste des conquêtes de son maître … pliée en accordéon. Toujours est-il que l’expo que lui consacre l’Espace Beau Site (Arlon) a en commun avec Turn On une allure de carrousel enchanté. Immersion un peu plus bas également.


Mais retour préalable… à la note. Au pouvoir expressif, suggestif, narratif, émotionnel du son… indissociable de l’image. Ou, selon ce qui nous attend à la Biennale vénitienne 2024, «à la puissance transformatrice du son comme médium» excusez du peu.



Vérification avec A Comparative Dialogue Act (visuel ci-dessus), un projet expérimental initié par Andrea Mancini (musicien luxembourgeois, artiste sonore & visuel) et le collectif Every Island, qui promet «une exploration de langages acoustiques variés et une réflexion sur le dialogue par-delà le visuel, dans le monde immersif du son comme outil de négociation» (Ouf !). En tout cas, c’est le projet sélectionné pour le Pavillon luxembourgeois, Sale d’Armi à l’Arsenale, à la 60e Biennale de Venise à partir du 20 avril (ouverture le 18 avril).


On a donc le temps d’y revenir mais ce qu’il faut savoir, en gros, c’est que le pavillon se transforme en lieu de recherche in situ, que quatre artistes internationaux sont invités à réaliser chacun une résidence au sein du pavillon pour contribuer à la création d’un corpus sonore partagé – la musicienne et performeuse espagnole Bella Báguena, l’artiste turque Selin Davasse, l’artiste suédoise Stina Fors et l’artiste française transdisciplinaire Célin Jiang –, que les artistes vont créer une bibliothèque sonore représentative de leur démarche artistique (en lien avec l’identité, les genres, le cyberféminisme, l’esthétique transculturelle…) mais que chacun pourra s’approprier le travail des autres et le compléter en vue d’un paysage sonore, que «chacun des artistes réalisera des performances qui seront des moments d’échange avec le public» et que l’espace sera malléable, via un dispositif spatial élaboré par Every Island, collectif bruxellois développeur d’architectures et d’installations éphémères favorisant un espace ouvert et alternatif, avec, du sol au plafond, des matériaux transmetteurs, transducteurs, vibrateurs, mobiles, suspendus ou flottants (re ouf !).


Allez, on s’accroche… sachant, comme le dit Bettina Steinbrügge, la directrice du Mudam, organisateur du Pavillon, «que le processus est aussi important que le résultat».


Surfant sur la note architecturale, j’en profite pour planter ici une très brève parenthèse vous signalant qu’à Luxembourg, au luca (Luxembourg Center for Architecture), l’expo de Christian Aschman restituant sa mission/ pérégrination photographique au Kirchberg, est prolongée jusqu’au 10 février, assortie, le 07/02, 18.30h, d’une conférence (en français) portant sur Vue(s) sur la ville. La photographie entre art, archive et regard critique.


Sinon, toujours à Luxembourg, aussi de l’exploration/expérimentation à la faveur du novateur red bridge project, qui relie le Grand Théâtre, le Mudam et la Philharmonie, et dont la 3e édition invite l’artiste pluridisciplinaire samoan et néo-zélandais Lemi Ponifasio qui, dans Love to Death, ces 2 et 3 février, au Grand Théâtre, réunit la compositrice mapuche Elisa Avendaño Curaqueo et la danseuse de flamenco Natalia García-Huidobro. Qui, à travers leurs corps et leurs expériences personnelles, abordent la réalité quotidienne du peuple mapuche, l’une des ares sociétés indigènes subsistant au Chili, la relation entre l’homme et la nature et entre les sexes, ou encore les questions d’identité et de destin. 


Retour aux Rotondes, avec ses platines et ses mécanismes d’animation aussi ingénieux que magiques.

 


On regarde autant qu’on écoute, et vice versa, et la séduction du tout doit aussi à une scénographie qui sublime l’osmose de l’optique et du narratif.

 

C’était déjà le cas il y a un an, avec Flip Off, une expo qui avait bluffé tout le monde avec son éventail d’animations à l’ancienne, les uns accessibles au doigt, comme le flipbook – petit livret de dessins qui, feuilleté rapidement, donne l’illusion que la scène s’anime et d’autres aux noms barbares: les zootropes, les praxinoscopes et ces phénakistiscopes, ou disques en carton découpés produisant l’illusion de mouvement, dont le phonotrope terme inventé par le réalisateur Jim Le Fèvre, et précisément monté en épingle dans Turn On est une refonte contemporaine.

 

Comment ça fonctionne? D’abord, on ressort les platines – et l’expo d’aligner toute une gamme de bons vieux tourne-disques. Dessus, une «galette» (impression noir sur blanc) en feutrine (ou slipmat): une création exclusive d'Etienne Duval (dont le studio est basé à Luxembourg); sinon, c’est sur des vinyles que les visuels sont directement imprimés – une vingtaine de créatifs internationaux s’y collent –, et du coup, selon la vitesse de rotation du disque, de la fréquence d’images dudit disque en rotation couplée à la lumière/caméra (de votre smartphone ou tablette), le mirage opère.

 

Foncièrement ludique, Turn On est une expérience fantastiquement hypnotique. Suspension du temps et de l’espace. Confusion des sens.


Tout commence par une revisitation de contes, dont Dame Tartine, le rat des villes et le rat des champs ou Malbrough s’en va-t’en guerre, à ce stade, moyennant un miroir conique à facettes placé sur le disque, le carrousel kaléidoscopique s’emballe. Et puis, les platines défilent, la musique tient lieu de récit et… on entre dans une 3e dimension.

 

Au rang de mes coups de cœur, We Got Time du célèbre faiseur de clips David Wilson, qui double son phonotrope d’une projection vidéo à la fois loufoque et poétique où tasses, feuilles et oiseaux volant et dégringolant illustrent le rapport particulier que le créateur entretient avec l’enfance et l’imaginaire.

 

Au rang surprenant, il y a Status Quontinuum de Guido Devadder qui, sur la platine, par impression 3D, installe un «objet» sculptural circulaire de ton grège, hérissé de dizaines de figurines minuscules agglutinées, lequel objet, une fois projeté sur écran, se transforme en un court film, métaphore du mythe de Sisyphe (ou de notre humaine condition), où chaque petit «individu» anonyme, nu et glabre, obéit à l’inflexible mouvement du groupe sans jamais pouvoir sortir de l’impasse.

 

Sinon, en plus joyeux, et hyper coloré, il y a le disque géant peint de Marie Paccou – déjà croisée/remarquée il y a un an avec un livre flippé donnant vie au Renert de Michel Rodange –qui, à la demande de Fabula Rasa et aspirée par la forme du bâtiment des Rotondes, a créé une animation aussi monumentale que rotative du Joueur de flûte de Hamelin (visuel ci-dessus, photo ©Mike Zenari), un conte, une histoire de vengeance qui lui permet de reposer la question… de l’utilité de l’artiste.  

 

A ne rater sous aucun prétexte jusqu’au 11 février, entrée libre les jeudis et vendredis de 15.00 à 18.00h, les samedis et dimanches de 11.00 à 18.00h – www.rotondes.lu

 



Terminus Arlon, Espace Beau Site. Tout le monde descend. Univers de papier, muet mais pour autant pas (toujours) sans parole(s). C’est irrésistible, parce qu’à la fois magique et ludique. Et précieux à force de fragilité.

 

Le livre d’artiste – en l’occurrence, il s’agit de la 8e édition du genre – est une œuvre d’art à part entière qui prend la forme d’un livre ou qui en adopte l’esprit. Donc, des pages sont à tourner, il se peut qu’un texte (poème, citation, extrait de roman) y circule, avec des illustrations. Mais ainsi, tout est très loin d’être dit.

 

C’est que chaque ouvrage requiert la mise en oeuvre d’une maîtrise technique impliquant tantôt la reliure ou le tissage, par exemple, tantôt le transfert de photo, la calligraphie, la peinture, l’aquarelle ou la gravure, soit: «une inventivité à l’infini qui amène à une forme inattendue», dixit Pierre François, le capitaine du lieu, adepte inconditionnel des états d’âme du papier et du geste qui toujours fait sens.

 

Voilà, l’origami côtoie le kaléidoscope, le livre en étoiles ou les livres allongés, la dentelle de lettres découpées surgit entre les coffrets ou les accordéons (les traditionnels leporellos), le rouleau, l’assemblage-installation et le «livre porte» (avec couvertures de porcelaine façon Sylvie Hoffman) cohabitent avec le «livre serpent» d’1m20 de long, doré sur tranche ou non, selon Véronique Van Mol, qui coud les chutes de papier de récup’ de livre déjà imprimé.

 

Ils sont 11 artistes au total, d’ici ou de Moselle, de Champagne, de Bretagne. Toutes des femmes. Et parfois, l’artiste est lectrice. Qui revisite une histoire selon son émotion ou sa couleur. A l’exemple de Mer, une magnifique création fusionnant encre, fil et typographie de Catherine Matte, chavirée par le texte Océan Mer d’Alessandro Baricco. A l’exemple du minimal gaufrage blanc de Mariette Flener, où dans la neige du relief papier percole une savoureuse citation de Pierre Dac et de Victor Hugo. A l’exemple encore du Le château de Ghislaine Rectem, inspirée du roman éponyme de Franz Kafka, que l’artiste segmente en 4 mini boîtes, comme une transposition sculpturale des 4 tours du livre, tenues en l’occurrence serrées dans un petit coffret, dont il suffit de dénouer le lien qui le bride pour assister à «leçon» de l’œuvre, à savoir qu’au final, tout s’écroule (visuel ci-dessus) !


A l’exemple enfin de ce qu'Anne Jolly appelle «armures», un fabuleux tissage de délicates bandelettes textuelles extraites de… La muraille de Chine de Christian Bobin, opus qui parle d’une lettre d’amour à écrire, de «voir le papier s’ouvrir à une nuit plus grande que la nuit».


Et puis, reliés par de très fins fils rouges au papier qui ondule, des mots apparemment décousus/égarés attendent que le doigt du regardeur/lecteur décode une phrase.

 

Dans ce panel sensible, pétri par les noces du fond et de la forme, de la matière et de l’esprit, de l’esthétique et de l’imaginaire, aussi il y a le corpus peint de Vasso Tseka, intitulé Magiciennes, qui regroupe des ouvrages absolument uniques, chacun dédié à un texte manuscrit (dont de Karel Logist, Cybèle Castoriadis, Antoine Boute…) qui ne sera jamais publié, serti dans une composition qui relève du véritable tableau. Un régal bibliophile.

 

Une «substance du merveilleux» qui se termine par… un petit marché, où dénicher des livres-drapeaux, des livres-carrousels, des haïkus et autres marque-pages. Jusqu’au11 février, du mardi au samedi de 10.00 à 18.00h, ainsi que le dimanche 11/02 de 15.00 à 18.00h.

Infos: Espace Beau Site (galerie mezzanine du garage Ford), 321 Avenue de Longwy, Arlon, www.espacebeausite.be

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