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Marie-Anne Lorgé

Fleur d’encre

Dernière mise à jour : 7 nov. 2023

Y a pas que les citrouilles qui hantent novembre, il y a aussi les prix littéraires, attendus comme le massepain de Noël. Pour le célèbre Goncourt, faut attendre le 7 novembre, conjointement avec le Prix Renaudot. Quant au Fémina, il est décerné le 5 novembre, suivi le 6 du Médicis. Preuve que les prix littéraires sont une affaire… de cuisine, tous sont débattus lors d’un repas gastronomique, symboliquement incarné (depuis 1914) par le mythique restaurant Drouant, dont les murs, témoins de l’histoire de la grande littérature française, encadrent la fameuse table ovale qui sert de bureau aux «Dix Couverts» (du reste gravés aux noms des jurés).


Sinon, comme mise en bouche, ne boudez pas les romans de cet auteur (français et à succès) «toujours attaché à faire naître des émotions qui se partagent» qu’est Gilles Legardinier. Un touche-à-tout, cinéma inclus. Et justement, son film Complètement cramé ! est une adaptation très fidèle de son roman éponyme de 2012, co-écrite avec Christel Henon (aussi productrice du film: Bidibul Productions). Et voilà que Complètement cramé ! – distribué par Tarantula Distribution – sort ce 8 novembre au Luxembourg, dans tout le réseau des salles.


Une histoire touchante, une aventure humaine pleine de folie, d’émotion et d’humour, agrémentée par un casting de rêve: John Malkovich – qui incarne (l’Anglais) Andrew Blake, ancien directeur d’entreprise, brisé par la perte de sa femme, qui plaque tout pour, en France, marcher sur les traces de son passé et qui, au domaine de Beauvillier, là où sa femme et lui s’étaient rencontrés, se fait engager comme majordome à l’essai suite à un quiproquo –, Fanny Ardant – la patronne Nathalie, veuve aux étranges emplois du temps –, Emilie Dequenne – alias Odile, la cuisinière et ses problèmes explosifs – et Philippe, un régisseur bien frappé qui vit au fond du parc. Et Blake, qui croyait sa vie finie, d’être obligé, à force de rencontres et situations hors de contrôle, de tout recommencer…


Aussi gros casting luxembourgeois à l’affiche, dont Eugénie Anselin dans le rôle de Manon – jeune femme de ménage perdue –, Anne Brionne et Al Ginter;en prime, c’est Gast Waltzing qui a dirigé l’enregistrement de la musique du film.


En avant-première, une séance «Ciné-Breakfast» ouverte à tous est prévue le dimanche 5 novembre, à 10.00h, au Ciné Utopia.



Dans ma brouette pleine de bonnes feuilles, encore deux bouquins à vous mettre sous la dent – parce que la lecture «sauve de tout, y compris de soi-même» (Daniel Pennac). Il paraît par ailleurs que la lecture partagée serait un antidote au «crétinisme digital»…


D’abord, immersion consentante et délicieuse dans Le plus court chemin (publié chez Verdier), un récit autobiographique, en tout cas une prose poétique qui revient sur l’enfance «quelque part au milieu des années 80» d’un auteur incantatoire, Antoine Wauters, écrivain belge (né en 1981), enfant silencieux autrefois, grand rêveur: «Je n’étais pas destiné à écrire, mais à flotter».


Pour faire simple, Le plus court chemin, c’est «Raconter l’existence dans les paysages infinis de la campagne wallonne, dire l’amour et le manque. car écrire, c’est poursuivre un dialogue avec tout ce qui a cessé d’être visible. par-delà la nostalgie».


Déjà lauréat (en 2022) du Prix Goncourt de la nouvelle pour Le Musée des contradictions et des Prix Marguerite Duras et Livre Inter pour le sublime Mahmoud ou la Montée des eaux, le sensible Antoine Wauters est en lice pour le Prix Rossel, ou «Goncourt belge», qui sera attribué le 8 novembre. En tout cas, Le plus court chemin, opus vibratoire, ne se lâche pas des mains. Jamais loin du coeur.


Autre immersion, en terre altruiste, grâce au Prix Paris-Liège de l’essai – créé en 2012 et doté de 10.000 euros – qui a déjà désigné son lauréat, à savoir: Stefan Le Courant, anthropologue, chargé de recherche au CNRS, récompensé pour Vivre sous la menace. Les sans-papiers et l’Etat (Editions Seuil), fruit d’une enquête de plusieurs années auprès d’une quarantaine de sans-papiers. «Avec humanité, l’auteur restitue leur expérience; il raconte des vies façonnées par la crainte de l’arrestation ou de la dénonciation (…). Obsédante, cette menace pousse à privilégier la solitude et la méfiance. (…) En cherchant à appréhender cette présence qui se dérobe, à vivre la vie d’un sans-papier, l’auteur livre un récit immersif aussi original qu’inédit».


Et pour celles/ceux qui s’échapperaient de leur coin lecture, voici de quoi bouger et rassasier des appétits à géométrie artistique variable. Au menu, du design et 2 expos: celle, émouvante, dédiée au graveur danois Bo Halbirk (visuel ci-dessus: œuvre Pandora), initiateur d’une aventure aussi humaine qu’artistique – l’histoire est belle, ça se passe à neimënster, je vous raconte un peu plus bas – et celle de l’artiste allemand Ben Greber à la Konschthal Esch, tout le monde en parle: tourmenté par «l’invisibilité progressive de tous les processus nécessaires à la vie et à la société», Greber documente cette disparition en des formes sculpturales à haut potentiel narratif et émotionnel. Visite ravie aussi un peu plus bas.



Et bien sûr, sans oublier l’indéfectible Salon du CAL (Cercle Artistique de Luxembourg) – du 4 au 19/11, au Tramsschapp, rue Ermesinde , lequel Salon escorte un autre événement, la «Luxembourg Art Week», une foire d’art, certes – dont la 9e édition se tient sur le champ du Glacis du 9 au 12 novembre –, mais surtout, un carrefour synergique, un catalyseur de collaborations avec les institutions culturelles du pays, dont le Casino Luxembourg, le Cercle Cité, la Konschthal Esch, le Mudam, chacune y allant de son événement. Et c'est comme ça que l’on pourra entre autres rencontrer Bea de Visser (je vous ai parlé de son installation Plague dans l’expo Hors-d’œuvre au Cercle Cité), tout comme Ben Greber avec sa Green Machine, sans compter les débats divers et… le salon de tatouage que l’artiste taïwanaise Hsia-Fei Chang proposera du 9 au 12/11. Bon, c’est foisonnant, j’y reviens par le menu détail dans les prochains jours.


Sinon, pour ce qui est du design, ce maillon créatif et économique en manque de reconnaissance et de visibilité au Luxembourg, la bonne nouvelle, c’est l’ouverture, au 42-44 de la rue de Hollerich, d’un «Design Hub», un espace de travail – ateliers et bureaux répartis dans deux bâtiments, au coût locatif modéré (650 euros pour les ateliers et 250 euros pour les bureaux) – qui permet aux professionnels du secteur (photo, décoration, film, web design, graphisme…) de s’installer temporairement (durée maximale de 11 mois) dans un environnement propice à la création, au partage d’expériences au réseautage, ainsi qu’à l’organisation d’événements ouverts aux publics.

Candidature(s) à déposer via le formulaire disponible sur le site designhub.vdl.lu. «Parmi les critères de sélection figurent la disponibilité des candidats ainsi que le caractère novateur et la qualité du concept proposé».

Pour l’heure, on peut y rencontrer Julie Conrad, «jeune designer luxembourgeoise qui mène une réflexion approfondie sur les matériaux pour créer des pièces multifonctionnelles et uniques», qui font la part belle à l’artisanat.


Et j’en parle parce que la création de Julie se découvre actuellement à Dudelange dans Mir wëlle bleiwen, wat mir ginn, une expo collective transdisciplinaire qui réactive les oeuvres de huit artistes présentées (en janvier 2022) au pavillon luxembourgeois dans le cadre de l’EXPO 2020 DUBAI. La réactivation ayant lieu au CNA/Pomhouse, donc dans un contexte autre, qui plus est deux ans plus tard, voilà qui présume d’un regard nouveau sur ces productions artistiques «qui ont cherché à questionner (…) leur vocation représentative à l’exposition universelle».


Il faut préciser qu’à Dubaï, l’expo – il s’agit en fait d’un projet collaboratif, initié par le Kenschtler Kollektiv, collectif d’artistes composé de Julie Conrad (design), Adolf El Assal (cinéma), Guy Helminger (littérature), Karolina Markiewicz et Pascal Piron (arts visuels), Simone Mousset (danse), Patrick Muller (musique) et Renelde Pierlot (théâtre) –, à Dubaï, dis-je, l’accueil – soit l’espace et le temps impartis – ne fut pas à la hauteur des attentes luxembourgeoises. En tout cas, cette seconde présentation a pour le moins le mérite d’éclairer le public qui n’a pu se déplacer à Dubaï, en espérant déjà qu'il en ait eu quelques échos.


Et donc, au Pomhouse, petit zoom sur Julie Conrad et son installation intitulée Artefacts (visuel ci-dessus), un essaim d’objets lumineux, de lampes en terre cuite – en l’occurrence, l’argile vient de Nospelt – façonnées comme des toupies, une suspension qui réagit au passage/mouvement du visiteur… dès lors plongé, par sensations visuelles et auditives conjuguées, dans une petite féerie de conte. Un conte oriental, induit par la forme et le festonnage des objets, conte qui se trame dans un espace clos, entre tente et chambre noire, en une sorte d’évocation des Mille et Une Nuits.


Artefacts, c’est une façon de confondre des territoires, des cultures, des mondes physiques et fantasmés, surtout, par la poterie, un artisanat de tradition, ce, autant à Dubaï qu’à Luxembourg (cfr les Péckvillecher, sifflets céramiques du lundi de Pâques ou «Émaischen»), ça participe «à l’idée symbolique d’une unité humaine».


Autour de l’expo Mir wëlle bleiwen, wat mir ginn – en place jusqu’au 7 janvier (entrée gratuite du mercredi au dimanche, de 12.00 à 18.00h) –, une série de cartes blanches données aux artistes du Kenschtler Kollektiv permet à ceux-ci de mettre en parallèle leur pratique individuelle et leur travail au sein du collectif. Et donc le 15/11, notez la performance sonore Gestalten en Re mineur de Patrick Muller, le 06/12, Spectrum dance/voice, la performance de Yuko Kominami & Àsta Sigurdardottir, invités par Karolina Markiewicz & Pascal Piron et le 13/12, une discussion-rencontre avec Julie Conrad. Et pour clore le programme cadre, le 29/11 à 19.30h, une conférence au CNA, avec le MNAHA, portant L'art aux expositions universelles et participations luxembourgeoises. Infos: www.cna.lu


Cette fois, on y est à Bo Halbirk et à Ben Greber.



Disparu en 2018, Bo Halbirk a «marqué durablement le paysage de la gravure contemporaine internationale». Et ça méritait bien un hommage. Et c’est le cas – dans le cloître de neimënster. Et ça vaut amplement le détour.


Un hommage au talent, bien sûr. La preuve en 65 aquatintes – Fleur d’encre incluse –, dont 35 extraites de la série Pandora (visuel ci-dessus), à laquelle l’expo emprunte son nom: Pandore qui signifie «tous les dons» fait référence à la mythologique boîte (en fait, une jarre) de la mythique Pandore qui, l’ouvrant par curiosité, libéra tous les maux sur l'humanité. Mais Espérance subsista, résista…


De format en format, des textures et des couleurs de volcans, de falaises et de crépuscules, une fenêtre ouverte sur une nature idéelle, aussi sorte de professeur universel pour qui l’observe et qui, en même temps, ne désespère pas… de la nature humaine.


Et c’est peu de le dire. Peintre-graveur né à Copenhague, Bo Halbirk a fondé à Paris un atelier unique, sis rue du Chemin Vert dans le XIe arrondissement, mettant à disposition de «ses pairs du matériel d’impression, encourageant la pratique des techniques traditionnelles et d’expérimentation dans la gravure taille-douce et l’estampe». Le tout passant aussi par des stages, des séminaires… «souvent en association avec des expositions». Dans l’expo, une vidéo rend compte de l’atmosphère singulière de l’Atelier Bo Halbirk, «lieu d’échange artistique et culturel international», ouvert 24/24h, où l’on pouvait venir travailler même de nuit, à condition de n’y pas dormir, le seul bémol étant… le manque de machine à expresso, on circule entre les éviers, les presse, les encres et les papiers, le calme prévaut, l’assiduité aussi, et le respect.


Chaque artiste «apporte ses compétences, ses façons d’aborder le travail, son style, mais il se crée aussi du fait de l’interaction entre les artistes une émulation, une sorte de minestrone d’idées !»


Arrêt sur image il y a notamment sur la genèse de l’œuvre Gargouille (du reste visible dans l’expo) et donc, sur le complexe procédé de l’aquatinte: plaque de métal, badigeonnage d’une couche de bitume, chaleur, bassin d’acide, rinçage, lustrage, grattage et obtention de points, sources de différentes tonalités de couleur (cfr dans les œuvres exposées, des dégradés d’un flamboyant orange ou d’un bleu à faire frémir l’azur).


Sauf que la technicité n’est peut-être pas ce qui importe dans cette expo mais l’aura de l’homme Halbirk, et sa transmission. Infatigable, généreuse, inspiratrice. C’est en l’occurrence dans son sillage, qu’est né, en 1994, Empreinte Atelier de gravure a.s.b.l. à Luxembourg, qui, dans le même esprit, «accorde une grande importance à l’échange et au contact avec l’étranger». Et «Empreinte» de collaborer régulièrement avec «l’atelier de Bo»… tout autant qu’avec «d’autres ateliers à travers le monde autour de projets communs».


En clair, ce que l’expo met précisément en lumière, c’est une communauté, ou mieux, une famille... planétaire. Au chevet de Bo, à neimënster, se pressent ainsi 51 artistes venu.e.s de 15 pays, rallié.e.s au thème Pandora en xylo ou linogravure, eau-forte, burin, pointe sèche et autres… alchimies, toutes de même format. Un chœur vibrant.


Au décès de Bo Halbirk, son fils Halfdan a repris le flambeau de l’atelier éponyme – qui a déménagé en 2023 pour s’établir au 1 rue Garibaldi à Montreuil, y installant l’artothèque créée au Chemin Vert, ouverte au public et baptisée «Artothèque à Fleur d'Encre». Une «fleur» dès lors accessible à neimënster, que chacun peut effeuiller des yeux…


Mise conjointement en oeuvre par «Empreinte» Luxembourg (avec entre autres membres Diane Jodes, Anneke Walch, Isabelle Lutz, Serge Koch, Pit Wagner, Yvonne Simon, Désirée Wickler, Mariette Flener, Malou Faber-Hilbert, Danielle Grosbusch, Sylvie Karier, Nathalie Noé Adam) et Bo Halbirk Paris, Pandora est l’occasion, par le hublot de la gratitude, de se familiariser avec l’art gravé… dans tous ses états, jusqu’au 13 décembre, tous les jours de 10.00 à 18.00h.



A la Konschthal Esch (au 29-33 du blvrd Prince Henri), Green Machine – Die Dinge der Anderen est une expo fascinante, développée sur 1.000 m2 et 2 étages. Et Ben Greber est un artiste (allemand) captivant, hanté par le temps qui passe, «les paysages qui changent, et les objets, machines ou infrastructures qui sont encore parmi nous, mais dont l’ancienne fonction n’apparaît plus clairement»: chaque objet disparu ou abandonné de notre environnement a une histoire, qu’il lui importe de sauver de l’oubli, par moulage, en résine acrylique ou en époxy.


L’objet, parfois infime – cfr fragment de bois de rail –, de l’ordre de la relique archéologique, Ben Greber l’élève donc au rang de sculpture, mais en l’occurrence réduite à un vocabulaire formel minimal, parfois abstrait. La reproduction n’est pas le propos, ce qui lui pose en fait question, c’est l’invisibilité, c’est le processus de disparition, que dès lors il documente. Et le résultat, généralement gris, charrie une idée de froid, d’archivage morbide, de classement proche de l’ossuaire.


De volume en volume, tous simplifiés, Ben Greber réactive une nouvelle qualité narrative, qui souvent se nourrit de sa propre biographie, à commencer par le passé trouble de sa famille – cfr la maquette du chemin de fer de son grand-père, biberonné à l’idéologie nazie, adepte de la naissance d’un nouveau (ou autre) monde, reconstituée flanquée de bunkers. Du reste, épouvante est la salle dévoue au passé familial.


Si l’expo réunit des séries d’oeuvres anciennes démantelées, retravaillées, réarrangées, une partie des travaux a été réalisée à Esch, lors de la résidence de Greber au Bridderhaus. Il en va ainsi de la nouvelle et vaste installation en référence à l'ancienne aciérie «Terres Rouges» à Esch-sur-Alzette, intitulée Das Grosse Danach (visuel ci-dessus, photo ©Christof Weber), moulée en couleur verte, «une gigantesque machine à memento mori», une «installation d'une grande puissance esthétique et commémorative (...) dans la vénérable tradition des natures mortes», une association audacieuse de socles, d’éviers et autres objets, dont bougies consumées, qui certes renvoient au passage du temps mais plus encore, à une mise à mort humaine et industrielle. Pour le coup, nous sommes dans la dernière salle du parcours, et, à l'évidence, la fête est finie.


ça ne se rate sous aucun prétexte, jusqu’au 25 février 2023. Visite guidée gratuite de l'exposition les dimanches à 15.00 et les jeudis à 18:30h, ainsi que les jours fériés. Infos: konschthal.lu

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