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Marie-Anne Lorgé

Il n’y a pas que les confettis

Il y a fort longtemps, le jour de ses fiançailles, mon grand-père a planté un petit arbre dans le jardinet voisin de sa maison. C’était un frêle prunier… qu’un jour une foudre a insolemment coupé en deux. Ce qui ne l’a pas empêché pas de porter des fruits, peu, mais obstinément. La compote n’avait que plus de saveur.


Allez savoir pourquoi je vous raconte ça? Disons que l’histoire est venue toute seule, sans crier gare… au passage des oies sauvages. Par centaines.

Sinon, l’histoire du jour ne tourne pas autour du Mardi-Gras (je ne suis pas adepte de batailles de confettis), non, elle tourne autour des images en noir/blanc surréalistes, symbolistes, hallucinées ou hallucinatoires de David Lynch. Sauf que la casquette privilégiée n’est pas celle du cinéaste mais celle du fondu d’arts plastiques, au demeurant lié à Patrice Forest, qui dirige Item, une maison d’édition, aussi une galerie (à Paris), créée en 1987, qui cible l’édition d’art, la litho et toutes sortes de multiples, où les artistes créent seuls, à l’exemple donc de David Lynch, dont les impressions (inclassable travail qui utilise le papier photo sans être de la photographie, mais du collage, du découpage, de la déchirure, le tout photographié pour être retrituré) s’exposent actuellement au Cercle Cité (j’y viens ci-dessous).


Autour également de la photographie documentaire du Luxembourgeois Patrick Galbats arpentant, en compagnie du Messin Nicolas Leblanc, la Communauté de communes du pays Haut Val d’Alzette, sur les traces (paysagères, géologiques, urbanistiques, sociétales) de l’industrie sidérurgique en déclin, interrogeant du même coup les processus de métamorphoses en cours et les héritages complexes: ce travail de longue haleine, et d’une singulière humanité, qui télescope de front la thématique labourée par Esch2022, sans avoir néanmoins trouvé de lieu d’accueil tout au long de l’année culturelle, se déploie désormais à la galerie Schlassgoart (Pavillon du centenaire/ArcelorMittal), à Esch-sur-Alzette.



Intitulée Traversées, mêlant les formats (couleurs) et les montages (cfr ci-dessus ©Patrick Galbats), les portraits, le bâti, le sous-sol, des friches et autres zones naturelles, des quartiers, des métiers, des objets, outre une plongée en noir/blanc dans la mine de Tiercelet, l’expo est intimement perfusée par l’installation sonore (sensible collecte de témoignages) réalisée par l’autrice et documentariste française Aurélie Darbouret.


Au cœur de l’expo deux question majeures: qu’est ce qui relie et comment habiter un paysage en mutation? Séquence émotion jusqu’au 23 février (de 14.00 à 18.00h).



Et l’histoire du jour passe aussi par la voix, par la façon, aussi inattendue qu’émouvante, dont Judith Deschamps revisite Farinelli, le plus célèbre des castrats – c’est de l’ordre de l’expérience et c’est à vivre au Casino Luxembourg: je vous dis tout au plus vite sur an·other voice (ci-dessus photo ©Lynn Theisen), tout comme d’ailleurs sur Endodrome, l’œuvre en réalité virtuelle de Dominique Gonzalez-Foerster, conçue comme un espace scénographié pour 5 participant(e)s, avec «un dispositif théâtral faisant référence à une séance de spiritisme», de quoi vous garantir «un voyage intérieur vers des états modifiés de conscience». Jusqu’au 16 avril. Déjà, jetez un œil sur www.casino-luxembourg.lu


Mais avant, place à la digression. Celle-là qui parle… d’écriture. Assortie de deux rendez-vous, à dimension… spectaculaire. Ça se passe à neimënster (Centre culturel de rencontre abbaye de Neumünster, Luxembourg-Grund).


D’abord, pour marquer le lancement du mois de la francophonie, un chassé-croisé entre deux Goncourt. L’un, de mémoire, à savoir: René Maran(1887-1960), «un écrivain noir martiniquais d’origine guyanaise oublié, administrateur colonial qui dénonça les excès de la colonisation et en paya le prix», Goncourt 1921 pour Batouala. Et le second, en présentiel, à savoir: Mohamed Mbougar Sarr, romancier sénégalais primé en 2021 pour La plus secrète mémoire des hommes. Et donc, concrètement, Mbougar Sarr rencontrera le public le 22 février, à la fois pour livrer ses motivations et ses conceptions littéraires (entretien mené par Jean François Ramon, ancien conseiller culturel, ancien directeur de l’Arsenal à Metz) et pour parler de René Maran dont il a justement préfacé la réédition à l’été 2021 du roman Un homme pareil aux autres.


Avec, en clou de rencontre, le spectacle Batouala, une lecture théâtralisée accompagnée d’une création musicale donnée en première mondiale qui remet donc à l’honneur René Maran, «un promoteur de la francophonie, précurseur non revendiqué du mouvement de la négritude porté par Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, un auteur de portée universelle dont les thèmes, la nature et la condition humaine, sont d’une brulante actualité».


Sur scène, le compositeur d’origine martiniquaise Thierry Pecou qui fait partie des compositeurs français actuels les plus joués, les musiciens de l’Ensemble Variances et l’acteur Bibi Tanga (qui n’est autre que le musicien chanteur des The Sélénites).


Cette soirée du 22 février, à 19.00h est organisée par l’Association Victor Hugo avec l’Institut Français et en collaboration avec l’Institut Pierre Werner. Entrée libre. Réserv.: billetterie@neimenster.lu


Le second rendez-vous dégoupille l’imposture. En compagnie de Christine Muller, Mélissa Merlo et Diane Albasini, trois artistes d’origines canadienne, suisse et luxembourgeoise, qui, actuellement en résidence à neimënster, travaillent sur une forme particulière et extrême du doute de soi sur laquelle, en 1978, deux psychologues américaines ont mis un nom: le fameux «syndrome de l’imposteur(e)». Partant de là, et prenant appui sur la situation et le cheminement des premières comédiennes et metteuses en scène en Europe et au Québec, les trois artistes ont décidé «d’écrire ensemble un spectacle amenant à une réflexion: comment s’emparer, en tant que femme, d’une place dans un monde qui vous conditionne à vous sentir illégitime?».


Résultat? Un projet hybride autour de la parole et du corporel, afin d’en dégager un langage commun.

Sauf qu’à ce stade, la trame de la pièce est loin d’être déterminée, elle évoluera suite à la restitution et aux échanges avec le public prévus le vendredi 24 février, à 17.00h, dans les ateliers de neimënster. Entrée libre. Infos: www.neimenster.lu


A David Lynch, nous y voilà.



L’espace d’exposition Ratskeller du Cercle Cité plonge dans la cendre, la pénombre, un décor qui colle à l’étrangeté des Small Stories révélant un pan méconnu de David Lynch, son travail plastique, peint, dessiné, sculpté. Et c’est une création troublante, habitée par des paysages qui confinent au cauchemar, par des figures et créatures difformes que ne renierait pas Antonin Artaud, l’inventeur du concept de théâtre de la cruauté et/ou de la peur. Du reste, Lynch partage avec Artaud le même sens de la mise en scène.


Alors voilà, Small Stories, c’est du théâtre, c’est le spectacle d’un univers fantasmé en deux hémisphères, l’un bâti à coups de boîtes, de vitrines où nichent des portraits, des têtes cabossées et des objets trouvés, recomposés ou pas, l’autre dédié «aux intérieurs», un bazar hanté par des hachures abstraites, des plantes, des fantômes, comme autant de projections de rêves et d’obsessions, de va-et-vient entre le conscient (le quotidien) et le subconscient imbriqués.


Le sédiment psychanalytique n’est pas loin, traversé par des motifs récurrents, comme l’arbre – typiquement convoqué pour parler de l’Amérique –, la mégalopole – qui prend une allure effrayante/menaçante pour l’artiste Lynch né (en 1946) dans une petite ville du Montana (à Missoula) – , les jouets – référence subtile mais têtue à son enfance ou à son «autre moi».


Pas simple de trier le vrai du faux, de repérer «quels sont les éléments du réel qui sont tirés hors du réel». Le bidouillage de sens et de fond donne le tournis. Une ambiguïté qui prévaut aussi dans la forme, dans le mode de fabrication. Du photomontage ou quoi d’autre? On parle d’impression, de still photography, d’images partiellement artisanales, partiellement digitales. A la base, souvent il y a un objet, souvent en papier mâché, photographié, découpé, rephotographié, avec, au final, un rendu parfaitement pictural, perfusé par des dégradés de gris acteurs d’une sublime profondeur: autrement dit, la fabrique d’images de Lynch est un manifeste travail de peintre.


Small Stories, c’est un florilège de 55 clichés en noir et blanc de 2014 (photo ci-dessus ©CercleCité IK). Mais c’est aussi la projection sur rideau rouge – rappel théâtral tendu – de 3 courts-métrages, les premiers commis par Lynch, à savoir Six Men Getting Sick (1967), The Alphabet (1968) et The Grandmother tourné en 1970 au troisième étage de sa maison: on y voit un jeune garçon, puni par son père, désarticulé comme un pantin de chiffon, déposer de la terre sur un lit et l’arroser, l’eau a l’allure d’un tonnerre, d’où surgit un énorme tubercule qui grossit comme un arbre, lequel finit par accoucher d’un personnage aussi inquiétant qu’un alien, mais néanmoins aimant, la grand-mère…


Entre ce film de 1970 – «du pur Joseph Beuys» (dixit le curateur Alex Reding), typique aussi de la maïeutique artistique de l’époque – et les images exposées de 2014, le jeu de miroir(s) est évident. Même fertilité imaginative, même singulière façon de saisir/traduire la dualité de la vie, le lugubre et le magique, le banal et le bizarre, le refoulé et l’angoissant.


En tout cas, eu égard à ces projections, l’expo Small Stories by David Lynch s'inscrit dans le Luxembourg City film Festival 2023.


A découvrir séance tenante jusqu’au 16 avril – au Ratskeller (Cercle Cité), Place d’Armes, entrée rue du Curé (Luxembourg) – tous les jours de 11.00 à 19.00h. Visites guidées tous les samedis à 15.00h (en français le 25/02, le 18/03 et le 08/04, sinon en anglais, luxembourgeois ou allemand). Entrée libre, sans inscription. Projections des courts métrages le 23/02, les 2, 9, 16, 23 et 30 mars, ainsi que les 6 et 13 avril, chaque fois à 18.00h. Infos: cercle cite.lu

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