Une phrase Milan Kundera circule désormais virale, à savoir: «Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté». Et au creux de mon été, entre bois et campagne, ma vie a cette beauté-là, habitée par le chèvrefeuille de la désormais déserte maison familiale, noyée dans les moissons de juillet, les pique-niques sur la couverture à carreaux, l’écossage des petits pois et les danses improbables dans la mare qui servait de pataugeoire…
Un roucoulement de pigeons (c’est le son lié à la maison de mes juillets d’antan), et voilà que la petite musique de ma mémoire poétique rencontre «LA» phrase de Kundera et son Insoutenable légèreté de l’être.
Et donc, je flaire, je butine, je glane, comme une enfance à retenir …
Et c’est valable au travers de ces autres chemins dits d’art, avec leurs pépites dans la meule de grains.
Et pour le coup, là, je sors repue d’une visite à la Konschthal Esch… qui fait la preuve par trois – trois édifiantes expos de trois artistes femmes, fomenteuses d’univers diamétralement opposés, avec la Luxembourgeoise Tina Gillen, sa façon de parler par la peinture du monde qui nous entoure et de l’habitat (je me suis déjà attardée sur Flying Mercury), avec l’artiste française Julia Cottin et sa sublime forêt de vibratoires colonnes de bois sculptées à la tronçonneuse (visuel ci-dessus: Forêt de Juma) et avec la photographe taïwanaise Hsia- Fei Chang qui, devenue croupière deux ans durant, raconte en une frise imagée aussi inédite que singulière «la transformation de soi» –, la preuve par trois, dis-je, que l’art contemporain est pluriel, multiple, «non pas un courant», dixit Christian Mosar, directeur de la Konschthal, qui, ainsi, offre au visiteur l’occasion d’arpenter les trois étages du lieu comme une chasse au trésor.
De Julia et de Hsia-Fei, je vous en cause dans mon prochain post.
Le temps, aujourd’hui, d’un sympathique arrêt dans un autre lieu, à Luxembourg cette fois, à la Villa Vauban - Musée d’art de la Ville en l’occurrence, qui met aussi en place cet été une sorte de parcours giratoire, de l’expo permanente (peintures et sculptures européennes, XVIIe-XIXe siècles) vers deux expos temporaires, l’une consacrée à Dominique Lang dans la lumière de l’impressionnisme (je vous y ai récemment guidés) et aux animaux dans la gravure, aller-retour.
Et c’est à ces animaux que je m’attache. Vaches, chèvres et chevaux en 48 eaux-fortes des XVIIe et XVIIIe siècles alignées dans une petite salle à vocation de cabinet d’estampes, salle qui risque de passer inaperçue alors qu’elle est une piste semée dans un sujet passionnant, celui de la variété des représentations de l’animal, inépuisable dans l’art hollandais, celui surtout de son passage de l’objet à sujet (avec ses fables, Jean de La Fontaine ne dément pas) qui n’a cessé de passionner les artistes – et c’est toujours le cas.
Ce qui est aussi passionnant, c’est que l’actuelle petite expo temporaire, Les animaux dans la gravure (je m'y colle ci-après), est l’histoire d’une collection rescapée de l’oubli, à la faveur du débarras d’une maison de famille en 2018…
Mais avant, digression…
Petite digression histoire de faire un saut cinéma – avec la projection de Dany Cage – et un crochet par les Rotondes, où le compte à rebours menant aux «Congés annulés» est enclenché.
Alors, Dany Cage, c’est un film-documentaire de 75 minutes, réalisé par François Baldassare et produit par Canopée Produktion, qui retrace la naissance, la vie et la mort d’un club rock-psychédélique de la fin des années 60 situé au 1c rue Beaumont, au cœur de la capitale luxembourgeoise. Et pourquoi cet arrêt rétroviseur?
Parce que le «Dany Cage», qui a existé à peine deux ans et demi, «a marqué les esprits», accélérant «l’affranchissement d’une jeunesse qui aspirait à plus de liberté». Et donc, à travers le lieu, ce club emblématique créé par Dany Lo – qui, du reste, est encore aujourd’hui chanteur et guitariste, il vient d’ailleurs de sortir un nouveau single intitulé Bistro –, l’ambition du film, c’est de témoigner «à quel point la musique a pu être déterminante dans ce processus d’émancipation».
Vérification sur pièce, avec la projection en avant-première ce dimanche 23 juillet au CineWaasserhaus, Parc Thermal de Mondorf-les-Bains: trois séances prévues à 15.00h, 16.30h ou 18.00h – Canopée Produktion ne désespère pas d’aussi projeter le «docu» à Luxembourg-Ville, «tout près du club d'antan».
Notez que si le film table sur une série d’entretiens et des recherches d’archives, il comprend aussi une partie fiction, tournée en l’occurrence au club Flying Dutchman (à Beaufort), embarquant 50 figurants, silhouettes & danseurs (visuel ci-dessus © Marco Pavone) et 11 acteurs (Danilo Gauny, Nicolas Lech, Joël Delsaut, Meyrer Philippe, Gilles Soeder, Paul Wilmart, Steve Roller, Baptiste Boilley, Alexandre Hornbeck, Léa Wiplier et Laure Rousset Constans).
Portfolio projet https://canopee-asbl.com/portfolio/dany-cage
Pour ce qui est du festival Congés Annulés, il repose donc ses valises aux Rotondes pour sa 15e édition: un mois de concerts, DJ sets et autres festivités du 28 juillet (avec une Opening Night à l’image du reste de l’affiche, éclectique et joyeusement bruyante: Francis of Delirium, Fat Dog et une «wild card» qui vient de loin, la Japonaise Haru Nemuri) jusqu’au au 23 août (en vrac, Les Savy Fav, The Murder Capital, sachant entre autres que lors du concert de A Place To Bury Strangers le 31 juillet une affiche sérigraphiée sera réalisée par Julien Hübsch, en 30 exemplaires mis en vente 40 euros/pièce) - tout savoir sur www.rotondes.lu
Cette année, le très attendu festival des Congés Annulés coïncide avec la 3e et dernière phase de la monumentale installation Voie 15 – tranche de quai et locomotive, autant de surfaces livrées à la créativité graffeuse de chacun – à savoir: son extension sur le parvis dès le 28 juillet: pour marquer le coup, des performances de live painting par Pasko auront ainsi lieu dès 18.00h sur les éléments fraîchement ajoutés sur le parvis.
L’installation agrandie sera accessible librement du jeudi (de 16.00 à 21.00h) au dimanche (ven, sam, dim de 16.00 – 20.00h), et régulièrement, des événements viendront s’y greffer, à l’exemple des sessions «Chill & Draw» où les artistes Mélanie Humbert (le 03/08), Loïc Lusnia (le 10/08) et Marie Lavis (le 17/08) «prodigueront quelques conseils pour trouver son style et éviter le syndrome du mur blanc» (chaque fois de 19.00 à 21.00h).
En clôture, le 23 août, les illustrations réalisées en direct par Dirk Kesseler animeront une dernière fois l’installation pendant une performance du groupe First Mote: «une soirée gratuite pour un au revoir sans tristesse, dans le soleil couchant, comme on en vit qu’aux Rotondes l’été».
Retour au calme… noir et blanc. La Villa Vauban dévoile 48 des 1.200 gravures datant du XVIe au début du XXe siècle composant un fonds acquis en 2020, qui n’a jamais été montré au public et qui appartenait en fait à la collection privée de Robert Betz (1866-1936), un propriétaire d’une usine à papier basé à Nuremberg – ce qui explique sans doute son goût pour les estampes, probablement chinées dans les brocantes des alentours de Munich.
En tout cas, cet ensemble – des feuillets libres, conservés dans des chemises, empilés en séries comme en autant d’albums à feuilleter – s’est transmis dans le giron familial pour finalement être retrouvé par des descendants lors du débarras d’une maison de la famille en 2018. Et voilà qui contribue à enrichir les collections de la Villa Vauban à travers le média de la gravure.
L’ensemble n’ayant jamais été montré ni exploité, la première sélection de 48 représentations graphiques aujourd’hui exposée est le point de départ d’un projet de documentation, de restauration et de médiation.
Et on y voit quoi? Principalement des eaux-fortes – exception faite d’une pointe sèche tirant le portrait d’un âne –, des formats de poche de différentes séries pour la cause regroupées/encadrées, une galerie de profils, de formes et de postures d’une précision remarquable résultant d’une attentive observation… d’animaux de la ferme... qui ne sont pas à la tâche. Eh non, c’est l’animal pour lui-même, il occupe le devant de la scène, sans aucun maître. Mais pas sans décor. En fait, la fabuleuse leçon d’anatomie animalière, sans être ouvertement scénographiée, permet une capture par l’image de l’environnement, du paysage naturel, agricole – le plat pays néerlandais – ou fantasmé, inspiré par ces décors italianisants que les artistes voyageurs ont ramené dans leurs cartons.
Quels artistes? Au gré des feuillets – les plus anciens datant du XVIIe siècle –, des noms d’artistes néerlandais reviennent en boucle, dont Nicolaes Visscher (1618-1679), membre d’une dynastie de graveurs sur cuivre et d’éditeurs amstellodamois, à qui l’on doit une composition d’une extrême charge émotionnelle, Cheval mourant (visuel ci-dessus), qui révèle aussi sans doute un regard historisant, planté dans les souvent gommés dégâts collatéraux de la guerre de Trente Ans.
En même temps, les gravures de Visscher, dont aussi son Cheval frison, prouvent par l’exemple la collaboration étroite existant à l’époque entre différents artistes, en l’occurrence, avec le peintre Paulus Potter (1625- 1654). Il en va de même avec Johann Heinrich Roos (1631-1685), artiste allemand (originaire d'Otterberg) mais débarqué très jeune à Amsterdam, où ses parents tisserands avaient émigré à cause de la guerre de 30 ans et où il rencontra Karel Dujardin, dont l’oeuvre l’influença. En tout cas, c’est Roos (revoir visuel en début de post) qui saisit l’indicible d’une scène privée, l’affection d’un couple de caprins, la chèvre et son bouc en confidence muette, deux chevreaux assoupis contre le flanc de leur mère.
C’est le chien qui clôt la série, celui-là affecté à la chasse à la poule d’eau ou au canard. Sauf que dans les derniers formats exposés, des gravures colorisées, dont certaines minuscules, datant plutôt du tout début du XIXe – ce début de siècle perméable à la nature –, le chien fait disparaître le chasseur, il est désormais l'acteur principal, capté seul, la truffe au vent, en repos (ou aux aguets?).
Avec Chiens au bord de l’eau, série attribuée à un inconnu selon le cartel, mais qui serait très probablement Kobell (1749-1822), dessinateur, graveur et peintre romantique bavarois, c’est tout la chapitre de la transformation du rapport de l'homme aux bêtes qui s’écrit et qui ne cessera plus d’évoluer, du maître à celui qui perçoit et traduit l’animal comme son intime miroir.
A voir en famille jusqu’au 14 janvier – à la Villa Vauban-Musée d’art de la Ville de Luxembourg, Avenue Emile Reuter, www.villavauban.lu
Commentaires