Ah, la lagune! Ah, la Biennale de Venise – 59e du genre – «the place to be» pour le Tout-Luxembourg culturel. Qui a vu et apprécié la façon dont Tina Gillen a su tirer profit de l’immense rusticité de la Sale d’Armi, à l’Arsenale, avec son ambitieuse installation picturale Faraway So Close, ses grands formats questionneurs de paysages et d’architecture, bouturant abstraction et figuration.
Et voici que s’annonce la foire d’art contemporain Art Brussels. Sur le site de Tour & Taxis, du 28 avril au 1er mai. En moins grandiose que dans l’Arsenale vénitien, on peut – via la galerie Nosbaum Reding (aux stands B72 et B78) – recroiser l’oeuvre de Tina Gillen, et (re)découvrir celle d’Hisae Ikenaga, la lauréate du prix LEAP 2020 qui, par ailleurs, à Luxembourg, expose à la fois aux Rotondes et dans les locaux de RTL City.
Je vais brièvement vous expliquer tout ça, en faisant préalablement un détour théâtral – celui du nouvel opus de «Parkour», baptisé La Friche et l’Architecte, à découvrir à la Kulturfabrik d’Esch/Alzette (Kufa) – et surtout, en vous signalant qu’un siècle après la parution d’Ulysse, la Bibliothèque nationale du Luxembourg (BnL), surfant sur une date iconique, le 23 avril, Journée mondiale du livre et du droit d'auteur, vient d’ inaugurer une exposition sur James Joyce – laquelle reste accessible jusqu’au 10 septembre.
En prime, et c’est par là que je commence, voici un mini guide de la très singulière expo interdisciplinaire Antidote Fiction, qui, à Dudelange, aux Centres d’art Nei Liicht et Dominique Lang, entend «reconstruire avec l’imagination». «Faire rêver d’un monde différent». Bien différent et pas meilleur car «(…) le futur nous reste obscur». S’y collent 7 artistes issu.e.s des arts visuels et des arts du spectacle, qui racontent des histoires… sur fond de monde postindustriel, de civilisation extraterrestre aussi.
Antidote Fiction, c’est un projet labellisé Esch2022, porté par Bombyx, un collectif d’artistes qui emprunte son nom à un papillon qui a pour chenille le ver à soie – et vous allez voir qu’il y a de l’entomologie et de la métamorphose dans l’univers proposé. Un collectif en tout cas fondé par la comédienne Pascale Noé Adam, dont la performance, par poings et sac de boxe interposés, nous parle de la colère – déjà charriée pas nos aïeules, contre les hommes ou contre... la poussière – et de sa transmission.
Pascale, qui se débat pour «ne pas oublier les combats passés» – sa (décapante) performance est à revoir lors du finissage de l’expo le 28 mai –, fait office de grain de sable, celui-là qui est susceptible de faire disjoncter le système.
Le système, c’est précisément l’objet des recherches de Keita Mori qui, sur les murs, comme un ver à soie, tire un magnifique réseau bleu de fils, dont l’enchevêtrement et l’accumulation créent une sorte de territoire… orwellien.
Le territoire est aussi une notion chère à Nathalie Noé Adam, qu’à coups d’emballages alimentaires (Tetra Pak) elle déploie en forme de nuages, noircis ou blanchis selon le vent des frustrations ou des possibles.
Par ailleurs, dans une installation vidéo intitulée Une fin certaine, Nathalie fait cohabiter une usine désaffectée en démolition – on suit l’explosion de ce gris monstre d’acier au ralenti –, et une cigale dans sa lente (et colorée mais assez monstrueuse) mue: deux histoires, deux temporalités, deux biotopes ou deux espaces apparemment distincts mais tellement liés. L’insecte d’un côté, avec son cycle de vie, de l’autre, l’activité industrielle, avec son effondrement, d’où l’homme même s’absente. La fable espère que la cigale chaque été, à jamais, «sortira de la terre pour grimper sur l’arbre et chanter» – du reste, en une série de dessins et impressions de longues ailes transparentes sur papier (doré ou non), l’artiste immortalise la fragile beauté de l’insecta (photo ci-dessus) –, quant à la fourmi humaine, pas sûr qu’elle trouve encore matière et lieu où danser.
Au rayon cosmogonie à inventer, Claire Thill, actrice et autrice, commet une science-fiction nourrie à la fois des récits d’habitants du Minett et de la sonde spatiale Voyageur. Le résultat (installatoire, sonore, performé) est aussi hybride que déjanté, y percolent nostalgie, mémoire et anticipation.
Le monde d’Edwin Cuervo confine aussi au monde parallèle. C’est tout le pouvoir d’une nuit de pleine lune, toute la fantasmagorie d’une lune blanche éclairant la nocturne randonnée du photographe solitaire au milieu d’une carrière… transfigurée du coup en paysage d’étrangeté, vide, exception faite de traces. Celles des machines d’excavation, aussi inquiétantes… que des loups-garous.
Infos:
Centres d’art Nei Liicht & Dominique Lang, Dudelange: Antidote Fiction, avec Nathalie Noé Adam, Pascale Noé Adam, Edwin Cuervo, Keita Mori, Olga Karpinsky, Claire Thill, Agathe Simon. Jusqu’au 29 mai (du mercredi au dimanche de 15.00 à 19.00h).
Golden Voyageur, performance de Claire Thill, & Emmanuel Fleitz à la contrebasse, le 28 mai à 17.30h. Colère, performance de Pascale Noé Adam le 28 mai à 18.30h. Infos: marlene.kreins@dudelange.lu
Et zou, le temps presse, direction la Kufa eschoise
En 2021 (Festival d’Avignon Off), dans une mise en scène de Nathalie Grenat, Parkour – Chronique d’un matricule nous racontait l’histoire de Fathia B., brigadière dans le Val-de-Marne, «une jeune femme devenue policière pour échapper aux carcans culturels dans lesquels elle était enfermée», chroniquée par le truculent journaliste radiophonique Jean-Pierre Moulte (JPM). Un spectacle écrit et interprété par Gérald Dumont.
En 2022, nous retrouvons JPM, toujours aussi truculent, pour un nouvel épisode intitulé La Friche et l’Architecte. Ou que se passe-t-il lorsqu’une friche industrielle se prépare à devenir un lieu d'espace urbain? «Enjeux climatiques, économiques, surpopulation, comment l'architecte fait-il face à la friche?» (photo ci-dessus).
En clair, dans ce nouvel opus de Dumont-Grenat – à l’affiche de la Kulturfabrik d’Esch (Kufa) ce mercredi 27 avril, à 20.00h –, «nous découvrons la vision d'un monde rêvé, pour nous tous, par un architecte à la personnalité peu commune. Que deviennent les fantômes des anciens ouvriers et de leurs familles? Quelles sont les contraintes, les anecdotes, les questions des futurs habitants de ce type d'habitat, en prise avec un monde en pleine transformation?» – on réserve sans plus attendre: kulturfabrik.lu
Ce spectacle ajoute sa pierre au programme lié à l’architecture qu’échafaude la Kufa en cette année culturelle, où vous auriez tort de bouder «Red Luxembourg», une expo à l’allure d’utopie, qui invite à de véritables expérimentations aussi sociétales qu’architecturales… s’agissant de rendre soluble notre désir de nature avec sa colonisation, de proposer des typologies d’habitat alliant générosité et économie, d’imaginer des stratégies alternatives permettant la valorisation de nouvelles écologies au sein des friches industrielles.
Approche et tentative(s) de réponse(s) servies comme une pièce (dé)montée jusqu’au 20 mai.
Allez, sans transition aucune, on file à la Bibliothèque nationale (BnL, 37D avenue John F. Kennedy, Luxembourg-Kirchberg). Sur les traces de James Joyce.
C’est le 16 août 1934 que l’écrivain irlandais James Joyce et sa femme Nora débarquent en touristes à Luxembourg, s’installant pour une semaine au Grand Hôtel Brasseur, proche de la vieille ville. «Durant son séjour, Joyce écrit une douzaine de lettres et cartes postales qui permettent de retracer ses pas et de percevoir la ville de Luxembourg à travers les yeux de l’auteur des "Dubliners"» (photo ci-dessus). C’est l’une des entrées de lecture de l’expo de la BnL qui relate la réception de Joyce par les journalistes et auteurs luxembourgeois et montre comment le Grand-Duché avec ses rivières finira par peupler les pages du célèbre Finnegans Wake, publié en 1939.
On ne s’en lasse pas du mardi au vendredi de 10.00 à 19.00h, le samedi de 10.00 à 18.00h, avec possibilité de trois visites thématiques (guidées par le curateur Gaston Mannes): le 30 avril (11.00h) en luxembourgeois, le 4 juin (11.00h) en français et le 25 juin (11.00h) en allemand/luxembourgeois – Inscription en ligne sur: reservation.bnl.lu
Et hop, c’est l’heure sculpturale et minimaliste de Hisae Ikenaga – née à Mexico en 1977 et qui partage son temps entre le Luxembourg et l’Espagne –, lauréate 2020 du LEAP-Luxembourg Encouragement for Artists Prize, dont le lancement de la nouvelle édition, la 4e, est désormais sur rails: l’annonce vient d’avoir lieu dans les locaux de RTL City, partenaire privilégié du prix co-initié (en 2016) par les Rotondes et le galeriste Alex Reding.
Et donc, aux intéressés – soit: tout artiste, peu ou prou lié.e au Luxembourg, s’étant distingué.e au cours des 3 dernières années sur le plan national ou international, toutes disciplines confondues dans le domaine des arts visuels – de déposer leur candidature dès aujourd’hui, jusqu’au 17 juin, date limite de réception des dossiers (formulaire accessible en ligne sous: rotondes.lu/leap).
L’annonce de la sélection des 4 finalistes est prévue le 13 juillet, finalistes qui exposeront collectivement aux Rotondes du 18 novembre au 4 décembre 2022. C’est lors du vernissage de cette expo, le 17/11, que le nom du (de la) lauréat(e) sera connu(e), récompensé(e) du prix doté de 12.500 euros par RTL, assorti d’une proposition d’expo solo. Comme ce fut le cas pour Hisae Ikenaga, montée en épingle par/chez Nosbaum Reding | Projects à Luxembourg en septembre 2021.
Et Hisae continue de faire parler d’elle… et de «sa démarche artistique concentrée sur des objets du quotidien modifiés auxquels elle attribue des significations et des usages différents». Synthèse formelle entre production industrielle et artisanale, aussi sobre que graphique, chaque œuvre, un assemblage tubulaire en acier chromé où s’insèrent des panneaux stratifiés découpés colorés, parfois flanqués d’objets familiers mais détournés, chaque œuvre, dis-je, installatoire ou murale, charrie sa dose d’étrangeté. D’absurde. De ludique aussi.
Avec ses agencements, faussement fonctionnels, faussement minimalistes, Hisae «parle des processus qui se répètent dans de nombreux aspects de notre société», et partant d’objets, ainsi «parlant de production, d’industrialisation, de mondialisation, de travail, d’économie, de manipulation, de bien-être, d’utopie», elle redéfinit le monde qui nous entoure, du moins, elle «aime à soulever l’idée qu’il y a d’autres mondes possibles, d’autres façons de voir et de faire les choses» (photo ci-dessus).
La preuve par les deux oeuvres actuellement exposées dans les locaux de RTL City.
La preuve encore lors d’Art Brussels – du 28 avril (preview de 11.00 à 17.00h, vernissage de 17.00 à 22.00h) jusqu’au 1er mai (vendredi, samedi et dimanche de 11.00 à 19.00h) –, sur le stand B72 de la galerie Nosbaum Reding. Qui, dans le cadre de la foire, mais à la faveur d’un programme off, donc, hors du site de Tour & Taxis, soit, en partenariat avec la collectionneuse Galila Barzilai Hollander, au 316 de l’Avenue Van Volxem à Forest (à deux pas du Wiels et de la Fondation A), présente Multiforme, un événement spécial qui rend pour la première fois visible le travail d’installation d’Hisae Ikenaga en Belgique.
«L'installation se compose d'une série de meubles, d'objets, d'outils et de gadgets qui appartiennent à trois espaces très spécifiques; un laboratoire scientifique, une cuisine professionnelle et un atelier d'artiste. Le matériau à examiner et à étudier, à cuisiner ou à manipuler avec des procédés très divers est l'argile ou la céramique. Ainsi, les pièces disposées nous renvoient à des organes, des os, certains à des objets usuels et d'autres encore à des ingrédients transformés».
Multiforme, à Forest, est à découvrir du 27 avril (vernissage à 18.00h) au 7 mai (mercredi- samedi, de 12.00 à 18.00h).
Sachez accessoirement que la galerie Zidoun-Bossuyt est également présente à Art Brussels, ventilant notamment sur son stand C 82 quelques Rebels, ces sculpturaux nichoirs déclinés en céramique par Martine feipel & Jean Béchameil, ce tandem d’artistes que la galerie mettra à l’honneur à partir du 11 mai à Dubaï, là, où elle a récemment ouvert une antenne, précisément au 796 Jumeirah Street.
Retour à Luxembourg, à Hisae Ikenaga, dont l’installation Archaeological Manufacturing joue avec l’histoire de la Rotonde 2. Terre, pierres et restes de précédentes expositions sont déplacés et réutilisés, tandis que de nouveaux éléments sont créés et introduits sur le site, à la vue de toutes et tous. L’amusante confusion invite à s’interroger sur ce qui était là «avant» et ouvre la porte à une (ré)interprétation personnelle de l’histoire du lieu.
Les œuvres sont installées en plein milieu de la Rotonde 2 et visibles à travers les vitres de la Buvette. Entrée libre, jusqu’au 5 juin.
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