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Marie-Anne Lorgé

La langue des aubépines

«Car souvent j’ai voulu revoir une personne (…) simplement parce qu’elle me rappelait une haie d’aubépines…», dixit Proust qui a fréquemment bouturé sa Recherche du temps perdu avec les petites fleurs blanches de ces buissons qui coiffent le printemps de plumetis.


Offrir un bouquet d’aubépines témoignerait d’un sentiment amoureux, et donc, à juger des innombrables arbustes du genre qui me mangent les yeux – c’est tellement beau que mon pas en a le souffle coupé –, je dirais que ma campagne est une déclaration d’amour. Je ne m’en lasse pas, les oiseaux non plus.


J’ai lu, au travers des livres de Claudie Hunzinger, lauréate du Femina 2022 pour Un chien à ma table, aussi auteure de romans hautement sensibles dont La langue des oiseaux et Bambois la vie verte – en même temps, elle est une plasticienne qui réalise des pages d’herbe, de géantes pages à claire-voie, obtenues à partir de tiges de graminées –, j’ai lu, dis-je, que le véritable enjeu climatique, c’était la poésie. Et que les poètes de ces temps de détresse… se sont réfugiés dans les champignons.


Des bolets ou des cèpes, entre champs et bois, bien sûr, pas des champignons hallucinogènes, même si ces derniers sont du voyage dans And we thought IV, une expo programmée lors de la Nuit de la culture à Esch/Belval, ce 22 avril – je vous en touche deux mots un peu plus bas.


En attendant, à l’évidence, les aubépines ont de la concurrence…


En tout cas, au retour de mon immersion aussi blanche que verte, voici quelques petites curiosités glanées, forcément à partager. En vrac, deux ouvrages – l’un coule comme la Moselle, le second se lie à un projet d’art urbain –, quatre expos – dont deux à venir – et une incursion dans l’univers du décalé photographe Daniel Wagener.


Et parce que «chaque jour il faut danser, fût-ce seulement par la pensée» (je ne remets plus la main sur l’auteur de cette citation), j’ajoute le prochain rendez-vous du TROIS C-L (Centre de Création Chorégraphique Luxembourgeois), soit: son «3 du TROIS» du 3 mai (dès 19.00h), à la Banannefabrik (12 rue du Puits, Bonnevoie), avec, au programme notamment, We need to find each other, une création hybride de Douglas Becker et Brian Ca, où il est question d’un «nouvel héritage culturel généreux donnant l’espoir de façonner un avenir commun», et RED, une scénographie en mouvement de la compagnie Yellow Jacket Collective, où il s’agit d’explorer «l'histoire de la couleur rouge afin d'en déceler l'iconographie et son lien avec l'histoire de l'humanité». Infos: www.danse.lu



Au rayon expos, deux rappels. Celui de Stardust Village, l’expo de Keong-A Song au Centre culturel portugais Camões (4, place Joseph Thorn, Luxembourg-Merl) dont le finissage a lieu le jeudi 27 avril, à 18.30h, en présence de l’artiste. Stardust Village, c’est un monde imaginaire inspiré du réel (histoires de mer et de terre, oliviers millénaires, ruines et bâtiments abandonnés ...), un monde parallèle, mystérieux, peuplé de créatures bizarres et… de poussières d’étoiles. Un futur incertain où l’espoir compte, s’appuie sur le vivant et… la poésie.


Et rappel de Vilanova Artigas. Drawing Models, l’expo au LUCA (Luxembourg Center for Architecture, locaux à Clausen) du travail de João Batista Vilanova Artigas (1915-1985), figure majeure de la scène architecturale brésilienne du XXe siècle, «célébré comme l’un des chefs de file du mouvement moderniste «pauliste» brésilien». On se presse car cette expo d’une sélection de fac-similés de dessins et d’esquisses d’Artigas et de ses collaborateurs (visuel ci-dessus: Vilanova Artigas, Anhangabau Valley (São Paulo), 1973 © 2023 luca | Sebastian Persuric) expire le 29 avril. Infos: luca.lu


Pour ce qui est du scoop, notez que le Musée national d’histoire et d’art change de nom. Désormais ne dites plus MNHA mais… Nationalmusée um Fëschmaart, une appellation synonyme de retour aux sources, «bien ancrée dans les esprits pour conforter notre identité et souligner la singularité de nos collections». En tout cas, dès le 28 avril, ledit Nationalmusée présente L’alchimiste, une sélection d’oeuvres d’Arthur Unger. L'artiste luxembourgeois s'est fait connaître, dès les années 70, par la singularité de ses deux techniques: d’une part, les dessins à l'encre de Chine – des «psychogrammes» selon ses propres termes –et d’autre part, un procédé qu’il désigne par «pyrochimiogramme» et dans lequel il travaille le cuivre au moyen du feu. Vernissage le 27 avril. J’y serai, je vous raconterai.



Sinon, nous y voilà à cette Nuit de la Culture qui, ce 22 avril, va planer sur le quartier Université/Belval, surfant sur le numérique et la technologie (visuel ci-dessus: Metal Waves). Au beau milieu du big bazar (une cinquantaine de propositions: mapping, installations ludiques, fête foraine, concerts, marionnettes, lumières…), ne zappez pas le moment où une intelligence artificielle prend des champignons hallucinogènes, d'où «voyages» dans un monde étrange et étonnant ! C’est l’artiste visuel Roberto Fassone qui réinterprète le récit de ces «trips» sous influence dans And we thought IV, une exposition vidéo et sonore (curatée par Vincent Crapon).

And we thought IV fait partie du projet de recherche Food Data Digestion du studio Sineglossa. Qui «s’intéresse au détournement des méthodes de machine learning pour explorer les relations humain-machine autour des notions de créativité et de conscience» – ça se passe à la Maison du savoir, de 18.30 à 00.30h en continu le 22 avril, et jusqu’au 8 mai.


De son côté, Fatima Rougi, chargée de communication à la Kufa mais aussi autrice, propose Fake Noise, «la bande sonore de nos vies», une installation en collaboration avec l’artiste visuel Alexandre Alagôa. De quoi ça cause? De l’hyperconnectivité. «Nos bruits intérieurs se mêlent désormais au brouhaha ambiant du numérique. Faut-il s’exhiber pour exister? Faut-il swiper pour s’occuper? L’ennui est-il devenu une hérésie?» ça se passe (toujours ce samedi) devant la Maison de l'innovation, ça dure 5 minutes, en loop (le 22/04) de 18.30 à 00.30h.


Avec Daniel Wagener, le voyage est tout autre, désarmant, perfusé par une poésie improbable (visuel ci-dessous)…


… et pourtant, le ciment du travail de l’artiste Wagener, au demeurant pince-sans-rire, en tout cas pas le genre à se prendre au sérieux, c’est le mur, le bâti, plus précisément, le chantier… urbain, en rien sexy.



Daniel, c’est un ket, comme on dit à Bruxelles, un effronté assumé, surtout un vrai tendre, bon comme le pain. Du reste, c’est bien un four à pain qu’il a construit pendant le confinement, four déposé sur le parvis du Mudam en 2021 (il y est toujours) nous invitant alors, chaque week-end, à préparer, pétrir, cuire et partager ensemble ce levain aussi généreux que convivial.


En même temps, Daniel pérégrine, de Bruxelles au Mexique en passant par l’Albanie, sans jamais situer clairement ses photos «car ça ajoute une autre dimension», traquant chemin faisant les traces, ces structures de chantiers placées pour masquer ce qui doit se soustraire au regard. Toujours est-il que si la brique est le leitmotiv, au fil des lieux, accumulation des matériaux il y a. En l’occurrence, démonstration par l’exemple prévue cet été, à Arles. Eh quoi?



C’est que Daniel, tout fraîchement auréolé du nouveau Luxembourg Photography Award (LUPA), initié par Lët’z Arles (je l’ai évoqué dans mon précédent post), bénéficie pour la cause d’une expo rien que pour lui dans l’arlésienne Chapelle de la Charité (lieu dévolu au programme de Lët’z Arles), ce, lors de la 54e édition des Rencontres internationales de la photographie, du 3 juillet au 24 septembre.


Et ce que concocte Daniel est une installation baptisée opus incertum en référence à… la maçonnerie romaine. En gros, à défaut de cimaises, dans ce lieu bourré de strates construites et d’autant de couches de lectures, ce lieu compliqué «où tu ne peux pas planter un clou», il entend installer une structure d’entrepôt, un industriel rack de supermarché, où exposer… ses photos de structures venues du travail collectif d’ailleurs, des bouts de chantiers, «plein de trucs qui remplacent les icônes baroques» et objets de culte, au point, au final, de dresser «un nouvel autel, celui de la consommation».


Ainsi, «l’artiste interroge la nature de l’icône dans notre société et nous pousse à réfléchir à la place du spirituel et son intersection avec le matériel» (dixi Danielle Igniti, la curatrice).


Aussi, interrogeant la mémoire du lieu, y superposant des «natures mortes urbaines» – ce qui, paradoxalement, révèle ce qui est caché, ou ce que cache l’ostentatoire –, il y a télescopage des temps, du passé et du présent, télescopage aussi de la fonction et de la sociologie (visuel ci-dessus).


Et puis, opus incertum serait un hommage à la transmission… de méthodes et de culture.


Enfin, avec son humour vissé aux basques, sachez que l’artiste proposera au visiteur «de déplacer les nouvelles icônes installées sur des chariots de manutention et à participer au chantier». Cqfd, Daniel Wagener «réussit une sublimation de l’utile».


Vernissage de opus incertum à la Chapelle de la Charité (Arles) le mercredi 5 juillet 2023 à partir de 19.00h.


Alors, parlant de briques, en voici deux, pleines de mots … pour raconter un domaine viticole et une famille, raconter aussi un paysage urbain et un ancien abattoir devenu Centre culturel.



Les traces, c’est l’objet de l’ouvrage rétroviseur de la Kulturfabrik, précisément intitulé Traces – Kufa’s Urban Art Esch, une belle brique de 324 pages, dont le lancement vient d’avoir lieu (ce jeudi 20 avril), escorté par l’expo photographique d’Emile Hengen et John Oesch (visuel ci-dessus © Emile Hengen).


Qu’est-ce que ça raconte? Qu’en 2014, la Kulturfabrik a décidé d’embellir ses lieux. De végétaliser la cour, de ravaler les façades, d’où, «progressivement, naturellement, sans prétention», est née l’idée d’un projet d’art urbain. «Sept ans plus tard, le projet compte à son actif plus de 70 œuvres d’art urbain en Grande Région, dont 55 à Esch; et près de soixante projets pédagogiques qui ont rassemblé autour de 1.500 personnes».


Aujourd’hui, le projet Kufa’s Urban Art Esch a pris fin mais, au-delà de toutes les peintures murales, un objet reste et restera, à savoir: l’ouvrage Traces – Kufa’s Urban Art Esch qui témoigne de «l’expérience authentique d’une œuvre créée de manière participative avec la population» et qui se distingue d’une simple rétrospective en donnant la parole à des spécialistes, leur éclairage prenant en compte les enjeux et l’architecture du territoire, et l’histoire de l’art urbain. En fait, au fil des pages, «des perspectives nouvelles, inconnues et familières sont mises en scène et juxtaposées, et soulèvent à nouveau les questions de l'espace public et privé, de la dimension éphémère des peintures murales dans un paysage urbain en constante évolution».


L’ouvrage sera disponible en librairie fin du mois d’avril, au prix de 25 euros. Quant à l’expo photographique, elle est accessible jusqu’au 29 avril, du lundi au samedi de 17.00 à 20.00h, le dimanche de 14.00 à 17.00h.


Direction mosellane, avec un opus gros de 452 pages, intitulé MUSELBLO – BLEU MOSELLE, tiré de la plume d’Hubert Würth – diplomate, ambassadeur, aussi peintre qui remonte «le bel hêtre très touffu» qu’est son arbre généalogique pour, rassemblant ses souvenirs et ses connaissances du domaine d’Ehnen, se laisser emporter par la rivière, cette Moselle qui nourrit le raisin, crée le vin, cette Moselle qui aussi a eu «une histoire très moche», eu égard aux familles déchirées des deux côtés de la frontière liquide, utilisant le terme «d'Preisen» (les Prussiens) – et finalement tenter «une étude pour la paix».


Ça faisait longtemps qu’il y pensait, à ce livre, Hubert Würth né en 1952 à Luxembourg, habitant Wormeldange, issu d’une «famille largement et anciennement mosellane» –-, et il aura fallu l’invasion de l’Ukraine par la Russie – «qui fait ce que les Prussiens ont fait avec nous» (cfr le chapitre 26) – pour que l’écriture s’éprouve, que, partant de la maison, du village et de la région, embarquant l’Allemagne, le Luxembourg et la France, elle englobe l’Europe, brassant à la fois le passé, le présent et l’avenir, soit: «des petites histoires avec s au grand H, et la future Europe» – pour l’heure, «elle ne fonctionne plus, il y a énormément de nationalisme au sein des pays neufs; il manque un grand homme, quelqu’un qui construit n’existe pas en politique» –, l’Europe, donc, «à laquelle le Centre mosellan appartient».


Le Centre mosellan? Nous y voilà, à la terre, à la maison et à ceux qui y vécurent.


La maison, c’est le domaine d’Ehnen, propriété d’abord de la famille Wellenstein, puis siège de la famille Ernest & Pauline Würth-Macher – les arrières-grands parents de l’auteur –, et du Domaine Würth entre 1914 et 1974. «C’est la fin du domaine viticole, mon père vendant la maison en 1974 à l’Etat, lequel, alors propriétaire, en fait en 1979 le Centre mosellan», en tout cas un musée du vin… aujourd’hui en travaux de rénovation/agrandissement (confiés à Valentiny) dans la perspective (en 2024 ?) d’un «Wäinhaus», ou Maison du vin du Luxembourg.


Dans l’arbre généalogique, il y a François-Xavier Würth (1801-1885), «qui a participé à la construction du pays, qui fut président du Conseil d’Etat» (en 1870-71), aussi président fondateur de l'association archéologique du Luxembourg, précurseur de la section historique de l’Institut grand-ducal. Et il y a Pierre Würth, le grand-père d’Hubert, «qui s’occupait des vignes». Et il y a Ernest, «mon père, qui a décidé d’être peintre; il avait 50 ans à ma naissance, je l’ai peu connu, c’est sans doute pourquoi je lui cours après», Hubert devenant lui-même peintre autodidacte.


C’est dense, richement illustré à coups de cartes, tableaux, documents divers, photos, linogravures, dessins, esquisses et peintures d’Ernest Würth, ça brasse l’intime et le langage politique, en tout 34 chapitres déclinés en une palette chromatique qui va du bleu (de l’eau) au violet (vineux). Ça ne se lit pas d’une traite mais c’est une lecture aussi patrimoniale que géopolitique.


«L’ouvrage est écrit en français, troisième langue du pays et langue latine qui a fait éclore cette identité multiple et forte d’un Luxembourg indépendant» –- il est cher à Hubert Würth le volet linguistique, pour autant il n’est pas développé/traité dans l’opus… mais ce ne devrait être que partie remise.


MUSELBLO – BLEU MOSELLE, prix librairie: 58 euros – ah oui, notez que la plasticienne Ann Vinck est «complice et participante au projet», et je vous laisse deviner le pourquoi du comment…

Infos: muselblo2023@gmail.com

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