Voilà, ils l’ont testé leur cubilot – vieux four vertical recomposé/reconstitué, boosté au gaz et bourré jusqu’à la gueule de débris de radiateurs en fonte – et ça marche. Une coulée en fusion a giclé, et ça a fait des étincelles, au propre comme au figuré (photo ci-dessous: © Romain Girtgen). Le fascinant magma doré a gerbé, recueilli dans un creuset chauffé à 1.300 degrés, pour, une fois écrémé de ses scories (le laitier), être déposé dans une matrice métallique rempli de sable compressé et finalement se solidifier dans un moule: le premier lingot de fonte FerroForum est né. Test grandeur nature réussi, résultat de 14 mois de travail d’une poignée de «ferrophiles» passionnés.
L’expérience sera reconduite les 29 et 30 avril, lors du week-end d’inauguration du FerroForum, où le grand public, et les artisans forgerons, chercheurs, historiens, étudiants inclus, et les collectifs d’artistes et tous les fondus (ou simples curieux) de sidérurgie et, plus largement, de patrimoine artisanalo-industriel, auront l’occasion de tout apprendre du site et de sa mission liée au «savoir fer» (ou du savoir-faire aussi diversifié qu’encore nébuleux autour de la création du fer et de l’acier: une mine d’enseignements, de techniques et d’outils dont, personnellement, je n’avais qu’une idée confuse, à l’ombre des hauts-fourneaux et des terrils barbouillant toutefois mon paysage quotidien).
Reprenons par le début. Sachant en même temps que, sur le site, la plasticienne Trixi Weis a scrupuleusement transposé tous les mécanismes de la fonderie… dans une fabrique à bonbons. Une installation vertigineuse baptisée pour la cause Kamelleschmelz (j’y viens…).
Et donc.
Installé dans l’atelier central de l’ancienne usine sidérurgique d’Arbed Esch-Schifflange, FerroForum désigne à la fois le site – immense hall brut de décoffrage, jusqu’alors aussi encombré que désaffecté – et l’association (ou brigade) des personnes qui depuis janvier 2020 mouillent le maillot à remettre en état les lieux et à installer les éléments des futurs ateliers – forge, fonderie, soudure et ressourcerie (récupération/ valorisation de matériaux, archivage technologique et cetera) – où des démonstrations seront régulièrement proposées. Le tout en ajoutant un réfectoire, pôle «convivial de partage culinaire et d’échange d’expériences entre disciplines et générations».
Dans sa mission de préservation, de sensibilisation et de promotion du fer et de l’acier, FerroForum privilégie certes la pédagogie, la documentation et la formation, sans pour autant négliger la création et l’innovation, ni surtout l’interaction. Pas question de muséifier mais, à l’exemple d’une pépinière, de générer des projets avec ou pour tous, et de tout acabit, culturels y compris.
Du reste, FerroForum est un tiers-lieu culturel… et citoyen. L’un des 3 espaces du genre promus par Esch 2022 capitale européenne de la culture et parrainés par l’Oeuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte. Si le partage est la notion commune aux 3 tiers-lieux, chacun a sa spécificité. Pour rappel, il y a le Bâtiment IV, 3.000 m2 enclavés dans le domaine du Schlassgoard (ArcelorMittal) à Esch-Alzette, cogérés par les associations qui l’occupent (Hariko, CELL, ILL, Richtung22) et les publics, donc, un lieu clés en main… à remplir. Et il y a le «VeWa», ou «vestiaires-wagonnage», bâtiment abandonné de l’usine de Dudelange que le collectif bien nommé DKollektiv rénove/transforme de A à Z à coups de chantiers participatifs, foncièrement motivés par le recyclage, avec, dès son ouverture le 14 mai, une programmation ciblée, conforme à des besoins locaux, selon un calendrier déterminé.
Enfin, il y a FerroForum, qui, sans intervenir sur l’architecture industrielle de l’atelier central d’Arbed Esch-Schifflange, table sur un grand nettoyage, un phénoménal travail de classification et de sauvegarde en vue d’une réaffectation à la fois patrimoniale et prospective.
Et c’est là, dans une salle à part, vitrée comme un atelier-labo, lumière tamisée, que l’on retrouve Trixi Weis, qui, sur une table de 6 m en inox, peaufine la construction d’une mini fonderie… gourmande. En fait, sa Kamelleschmelz, c’est la réplique en acier, à petite échelle, de tout l’appareillage (convertisseur, mélangeur, escalier de chargement, tapis roulant) et de tous les procédés impliqués dans la sidérurgie mais, en l’occurrence, affectés à la production… de bonbons (photos ci-dessus et dessous: © Anouk Flesch).
L’installation est une sorte d’incroyable Meccano – fabriqué en collaboration avec Paul Wurth, l'Ecole privée Emile Metz, le Lycée des arts et métiers, la Fondation Indépendance by BIL –, gavé de technologie. Que, pour l’heure, Trixi apprivoise, comme elle expérimente la faisabilité et les différentes étapes du processus confiseur, sachant déjà, par exemple, que «la base de sucre passant dans le laminoir induit une technicité complexe, fût-ce au niveau des températures afin que ça ne colle pas». Et pour Trixi qui travaille à ce projet depuis 3 ans, il reste du chemin à faire, des quadratures à résoudre.
C’est pourquoi, les 29 et 30 avril, lors de l’inauguration de FerroForum, le public découvrira la Kamelleschmelz à l’état de sculpture, quant à sa phase opérationnelle, son fonctionnement concret, il est prévu en mai/juin, alors assorti de conférences et de workshops.
En tout cas, la plasticienne Trixi, une créative touche-à-tout pur jus (née en 1967), présidente de l’Aapl (Association des artistes plasticiens du Luxembourg) de 2013 à 2021 et curieux mélange d’ombres et de lumières, Trixi, dis-je, est une raconteuse d’histoires… qui aime manger les fleurs et, plus globalement, qui a le goût du comestible, et de son corollaire qu’est l’éphémère, puisque le comestible… pourrit.
Un goût qui remonte à son travail de fin d’études à La Cambre, à Bruxelles, avec «une chaise Art nouveau faite en plantes grimpantes», et qui s’ancre une première fois en 2005, lors de Sous les ponts, le long de la rivière... , une expo présentant dix-huit interventions d'artistes sur un parcours reliant le Casino Luxembourg au site des «Trois Glands», où Trixi, installée dans une roulotte, «proposait à bas prix une boisson à la rose et distribuait à tous des cartes recettes». Depuis, le sucre, blanc ou aromatisé, en pâte ou confiserie, celui de l’addiction sociétale, celui aussi qui travestit les chagrins, habite moult de ses créations.
C’est aussi que la poésie est un petit navire qui hante tout l’imaginaire de Trixi, fait de fragilité, de mélancolie, de rituel aussi, et d’esprit dada.
Infos:
FerroForum, ancienne usine Esch-Schifflange, portail Lallange, blvrd Aloyse Meyer, tél.: 621.417.628, mail: moein@ferroforum.lu
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