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Marie-Anne Lorgé

Les pionnières de neimënster

Une expo (de peintures) met actuellement en lumière quatre plasticiennes luxembourgeoises qualifiées de «pionnières», un statut qui peut poser question, sauf à savoir qu’il est apparemment imputable à l’engagement de ces femmes artistes en matière de parité… sur une scène monopolisée jusque dans les années 90, par des hommes.


L’argument se défend, sachant que le lieu où l’expo se déploie, neimënster (Centre culturel de rencontre abbaye de Neumünster ou CCRN), est piloté par Ainhoa Achutegui, féministe de la tête aux pieds. Qui, du reste, souhaitait «une expo d’été au CCRN» pour parachever le programme de son nouveau «Bock op méi intim» – on va y revenir.


Sinon, parlant de la décennie 90 – en notant que les peintures exposées datent autant des années 80-90 que des années 2000 –-, elle coïnciderait avec un essor économique favorable à l’ouverture de nombreuses galeries à Luxembourg, dont celle d’Alex Reding, précisément commissaire de l’expo Pionnières – mais qui, en fait, curate l’expo en sa qualité non de galeriste mais de tête de pont de l’asbl artcontemporain.lu.


Trêve de pinaillage – ne pas s’éreinter à démontrer que le choix est partial ou partiel –-, car, au final, l’exposition a de la gueule – «c’est un corpus d’oeuvres d’une période par artiste» –, voire aussi un dessein quasi muséal, sachant que deux des quatre femmes artistes élues sont «pionnières» en ce qu’elles ont représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise: il s’agit de Patricia Lippert en 1988 – qui a partagé cet honneur avec Moritz Ney – et de Marie-Paule Feiereisen en 1990.


Dans la foulée, avec Carine Kraus, il y a aussi lieu de réactiver un autre manifestation d’envergure internationale, à savoir, la consécration, en 2007, de Luxembourg comme capitale européenne de la culture, avec, dans ce cadre, le «Dance Palace», un événement initié par le Centre de création chorégraphique Trois C-L proposant pas moins de dix-huit projets en résidence de création – lesquelles se sont déroulées dans le CPCA, lieu emblématique de la danse au Luxembourg, devenu aujourd’hui la Banannefabrik – et dont Carine Kraus témoigne au travers de ses grands formats. Des travaux précisément réalisés en résidence, lors de répétitions, où Carine, capturant les corps et les mouvements, même les plus ténus ou insolites, développe un langage en suspension, tout d’harmonie, sans effet superflu, habité par la vie secrète des ombres et des transparences.


Les grands formats s’alignent dans cette exposition, qui sanctifie la peinture – exception faite des dessins de Flora Mar – et qui hybride le figuratif et les vocabulaires abstraits.


En ce qui concerne Patricia Lippert, personnage aussi fantasque que généreux, à la fois coloriste et matiériste, néo-expressionniste (avec son motif tête en bas, la toile Unterlags de 1987 porte l’empreinte de Baselitz), collagiste à ses heures et peu avare aussi d’allégories, on ajoutera une portée narrative, un goût de la fable mâtinée de symboles, de mythes et légendes. Biberonnée au tantrisme, Patricia s’emploie à libérer ses chakras tout en posant son regard sur l’éternel féminin et sur tout ce qui peut réconcilier les peuples.


Ce qui préoccupe Marie-Paule Feiereisen, ce n’est pas d’abord la posture féminine, mais de traduire en rythmes et répétitions des cosmogonies domestiques, de trouver des espaces intermédiaires où parler des choses qui passent. Les travaux exposés à neimënster font suite au retour vénitien de l’artiste, qui, partant de là, n’a cessé de multiplier les voies parallèles, incluant la vidéo, les objets dérivés, les installations collectives ou autres projets collaboratifs (dont avec des architectes).

Retour à la féminité avec Flora Mar, investie dans un rapport au corps de la femme à la fois conceptuel, autobiographique et très graphique. C’est qu’elle aime le noir, Flora, celui du trait au graphite et celui qui symbolise le mal absolu. Or, selon l’artiste, la figure incarnant «la force destructrice absolue», c’est le papillon de nuit (Moth), un motif aussi physique que mental qui, du coup, hante la série Duells. Une série en mode «short story», où Flora associe Moth à Mother: une paronymie qui dépasse évidemment le champ lexical, le jeu de mots débordant sur les jeux de l’amour.


Des jeux d’amour que Flora transpose en machines complexes dans Scènes de la vie conjugale, Eros et Thanatos, un étonnant travail de photogravure où en réponse aux millimétrés dessins mécaniques de Pierre Baldauff (dessins que l’entrepreneur luxembourgeois a réalisés durant ses études à la TU Karlsruhe entre 1899 et 1903), Flora Mar propose des formes inattendues, comme une métaphore des quiproquos émaillant immanquablement la vie de couple. Preuve que le noir qui sied à l’univers de Flora n’empêche pas l’humour. A l’exemple de son Autoportrait, une sculpture de papier censée matérialiser sa colonne vertébrale, sauf que cet empilement de tous les documents de sa vie (dont acte de naissance, diplômes et cetera) chancelle, démontrant ainsi que… personne ne se construit jamais tout seul.


L’expo Pionnières est l’un des phares de la programmation estivale post-confinement de neimënster. Qui a mis sur pied un festival «Bock op» plus intimiste – pour rappel, «Bock op» remplace depuis 2018 le festival OMNI (Objet Musical Non Identifié) et tire son nom des falaises qui bordent l’abbaye. Donc, pour ce «Bock op» 2020 particulier, crise sanitaire oblige, on retrouve certes les «Apéros jazz» dominicaux mais escortés de deux nouveaux cycles, le «Lëtz’ Play» consacré aux artistes luxembourgois.es indépendant.e.s – notez Claire Parsons ce soir, le 15/07, Nicool le 20/07, Sun Glitters le 30/07, C’est Karma le 06/08 ou Bartleby Delicate le 28/08 – ainsi que le «Sunset Strings» dédié à la musique baroque – avec «Dans les jardins secrets de Couperin», un concert d’Anne Galowich autour du compositeur François Couperin le 17/07 et «A Midsummer Night», une soirée poétique et musicale de rencontre entre Shakespeare et Purcell, proposée par cantoLX le 24/07. Infos tél.: 26.20.52.444, www.neimenster.lu


Photo: Carine Kraus, «Dolce Vita», 2008, 185 x 260 cm.

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