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Marie-Anne Lorgé

Lèche-vitrine piégeur

Le voyeur qui est à son tour vu n'est que la métaphore de tout spectateur, à commencer par l’adepte du lèche-vitrines. La preuve avec «meanwhile», un dispositif vidéo que Serge Ecker a précisément installé dans l'une des vitrines du Cercle Cité.



Irrésistible est la tentation de voir sans être vu, de jouir de la lumière ou de percer un secret par le trou de la serrure plutôt que par la porte. Sauf que dans meanwhile, le voyeur est d’un genre particulier, c’est un voyeur captif, un regardeur piégé… par la captation de sa propre image. Laquelle image confronte non seulement le quidam à lui-même, son double, mais aussi à son environnement immédiat, à savoir: la rue commerçante et son brassage humain.


L’expérience est aussi simple que déroutante. Le Cercle Cité Luxembourg en a passé commande à Serge Ecker – artiste eschois (né en 1982) fondu de création numérique, d’espaces multidimensionnels, de réalité artificielle et autre reproduction ou manipulation digitale, 3D incluse – dans le contexte de son projet «CeCiL’Box», lequel consiste à accueillir des œuvres dans l’une de ses vitrines (box) de la rue du Curé, offrant ainsi à la création locale une visibilité 24h/ 24, 7j/7, de jour comme de nuit.


En l’occurrence, meanwhile, une installation à tel point discrète qu’elle pourrait passer inaperçue, est installée dans la 4e vitrine du «Cercle», qui, par ailleurs, abrite la traditionnelle expo estivale de la Photothèque, actuellement consacrée aux vieux quartiers et fortifications de la capitale dont les origines remontent à 963, ce, pour marquer le 25e anniversaire de l’inscription de la Ville de Luxembourg au registre du patrimoine mondial de l’UNESCO. Si ces photos – visibles jusqu’au 6 septembre et réalisées entre autres par Pol Aschman, Charles Bernhoeft, Batty Fischer, Tony Krier, Edouard Kutter jr ou Théo Mey – investissent l’espace intérieur du «Cercle», le Ratskeller, il en est trois, dupliquées en grand format, qui s’alignent sur trois vitrines, histoire d’attirer l’attention du passant. De sorte que pour découvrir/apprécier meanwhile au bout de l’enfilade, il faut être fin limier ou flâneur singulièrement curieux.


Et c’est sur cette «qualité» que table sans doute Serge Ecker – «qualité» comparable au penchant du papillon à succomber à un faisceau lumineux, des guêpes à céder au miel, de nos doigts à capituler devant un pot de confiture.

Alors, d’emblée, ce qui se donne à voir, ce sont des planches. Des vieilles planches de toiture assemblées en claire-voie, soit: horizontalement et parallèlement. Ce sont de ces planches qui condamnent un magasin en liquidation, de celles aussi qui font écho aux barricades de contestation, de celles surtout qui matérialisent l’enfermement, cette notion colonisant désormais notre imaginaire post-covid.


Du reste, le confinement, Serge l’a vécu cahin-caha, malgré cet espace de résilience qu’est le jardin. En gros, une créativité en jachère, mais toutefois pas au point d’étouffer son envie de fronde, décochée à l’adresse du cirque immobilier eschois, avec, à la clé, une série de vieilles cartes postales de la Ville d’Esch, des cartes détournées afin que le passé accouche d’un futur dystopique, où les friches des Terres Rouges se transforment en parc d’attractions ou en Spaceport.


Sinon, «meanwhile» – parallèlement ou en attendant – , Serge Ecker, en mode (sur)veilleuse, fait voir en même temps qu’il soustrait. En notant que les planches qu’il utilise pour (partiellement) occulter la vitrine qui lui est dévolue, sont en fait placées derrière la vitre, soit: à l’intérieur.


C’est cette vitrine occultée qui, paradoxalement, intrigue le passant au point de l’inciter à y regarder de plus près. De très près. Et c’est là, entre les fentes du bois, que le mystère s’évanouit tout en s’épaississant, puisque ce que le quidam croit ainsi démasquer… c’est lui-même.


L’effet est de miroir, mais le dispositif est bien sûr autre, l’image spontanément retransmise étant due à une docile caméra coincée entre les interstices. Laquelle caméra fait à l’évidence écho à l’œil de Big Brother, à cette obsession pseudo sécuritaire de la surveillance. De tous à toute heure.


Serge Ecker joue sur tous ces tableaux. Et ce qui apparaît, au travers des lattes de bois évoquant des persiennes, c’est le tableau de soi… et d’un microcosme saisi à l’instant T. Mais en mouvement perpétuel. L’apparition induisant une disparition, et vice versa (photo: (c) Cercle Cité).

Se laisser surprendre jusqu’au 18 octobre.

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