Petite halte belge. Tout à côté. A Arlon, dans le singulier lieu dont je vous parle régulièrement, l’Escape Beau Site, galerie-mezzanine, où le langage se joue des mots (photo ci-dessous). Et à Aubange, dans la salle La Harpaille (Domaine du Clémarais), dédiée à une figure muséale, le peintre Camille Barthélemy (1890 - 1961), paysagiste voyageur.
En bout de post, j’ajoute 3 rendez-vous à entendre et danser, il y sera question d’Ulysse, de figures féminines et de rêves.
Dessiner, c’est écrire. Et écrire, selon la graphie de la lettre ou du signe, c’est dessiner. Voilà pourquoi, à l’Espace Beau Site, 7 artistes associent leur pratique – picturale ou sculpturale – au geste d’écriture.
On connaît le joli brin de plume de Pierre François, fondateur-pilote de l’Espace Beau Site, son goût de la littérature aussi. D’ailleurs, c’est l’auteur Patrick Modiano qui avait été l’inspirateur d’une précédente expo, Vestiaire de l’enfance. Cette fois, dans Par-delà les mots, outre l’allusion à Rimbaud – qui donne une couleur aux voyelles –, c’est l’ombre de Georges Perec qui flotte, avec La disparition, son roman en lipogramme, texte où une lettre est bannie, en l’occurrence le «e» – à commencer par le «e» du «eux» désignant les parents tragiquement disparus, absents à jamais présents. Avec La disparition, roman qui comble un manque, Perec est ainsi passé de l’enceinte autobiographique au champ romanesque.
Dans Par-delà les mots, il y a aussi du manque. Une disparition du sens. Ou plutôt, une quête du sens caché, une dérobade du visible, un refoulé de l’intime, sinon une traversée du miroir. Qui prend corps dans un nouveau langage. Lequel tient tantôt du fouillis de signes confinant au griffonnage – c’est le cas d’Adelin Donnay, adepte de cette sorte de catharsis qu’est l’écriture automatique, qui, partant d’un recueil de poèmes tankas de Sandrine Davin, s’en échappe à coups de silhouettes, autant d’autoportraits à l’encre ou à l’aquarelle, ses doubles noirs comme une suie –, et tantôt du paysage… qui n’en est pas un.
Les paysages de Christiane Gillardin sont ceux d’un monde qu’on ne voit jamais. D’un lieu qui n’est peut-être pas ailleurs qu’en nous. Il y a des brumes, des grisés irréels, où une phrase se dissimule, jusqu’à se fondre dans la ligne d’horizon, comme si elle en était l’architecte. De l’aveu de l’artiste, entre elle et la toile, il y a un rapport de confidence, elle lui parle, naissent alors des contours et épaisseurs imaginaires/imaginants, où se cachent donc les déliés d’un mot, d’un paraphe, d’une signature. Ces déliés, corps fins, accoucheurs de formes illusionnistes, seraient à lire comme un consentement, comme l’expression de l’accord donné par l’artiste à l’architexture qui la dépasse. C’est délicat, perfusé de transferts poétiques.
Avec Anne-Marie Lanin, l’art combinatoire rameute la céramique – représentant des fruits à coque, possiblement des noix de macadamia, qui éclatent en germant – et le papier. Des noix, se répand un flux de lettres. Lequel flux continue à proliférer sur de larges bandes de papier collées à la queue leu-leu sur de la tarlatane, de quoi former un sorte de long tapis, voire un parchemin, qui n’en finit pas. Sans début ni fin. Les lettres s‘y couchent, comme échappées d’un manuscrit orientalisant, de droite à gauche, ou l’inverse (photo ci-dessus)… sauf qu’il n’y a pas à y voir un exercice surréaliste, mais un rituel auquel l’artiste se soumet chaque matin: de l’énergie pure mais douce… comparable au mouvement de la navette en broderie.
Et puis, il y a le photographe Jean Janssis et ses curieuses énigmes codées, ses espèces de problèmes algorithmiques où des lettres en bouillie se substituent au chiffrement, tout aussi illisible. En fait, ce sont des cryptogrammes… à l’évidence inspirés par les milliers de mails qui, quotidiennement, encombrent nos relations, les embrouillent au point de menacer de disparition – Janssis serait ainsi le Perec en creux de la bande –, l’humanité de notre communication.
Les cryptogrammes de Janssis sont en tout cas un vertige de technicité, où le papier, la gomme arabique, le bichromate de potassium, les pigments et l’insolation sont les miraculeux acteurs accélérant une alchimie, les tirages devenant de tactiles œuvres, quasi picturales et de densité différente. Trouble et sensualité.
Preuve une fois encore que l’Espace Beau Site est un lieu unique: un arrangeur/marieur de pratiques artistiques qui parlent de nous et pour la cause, un bâtisseur d’inattendus, d’émotions aussi.
Infos:
Espace Beau Site, 321 Avenue de Longwy, Arlon: Par-delà les mots, avec Adelin Donnay, Christiane Gillardin, Jean Janssis, Anne-Marie Lanin ainsi que Claude Lardo, Michèle Laveaux et Magdalena Hajnosz, se découvre jusqu’au 19 décembre (donc, plus de temps à perdre), tous les jours de 10.00 à 18.00h, samedi de 10.00 à 17.00h, dévernissage le 19/12 de 15.00 à 18.00h. Tél.: 00.32.478.52.43.58 - www.espacebeausite.be
A Aubange, salle La Harpaille, Camille Barthélemy, inlassablement, c’est une expo rétrospective qui déroule l’œuvre du peintre et graveur belge – gaumais pour être précis – non pas selon un fil chronologique (il est mort en 1961, il y a donc 60 ans et «nous enchante encore») mais sous un angle géographique. Les toiles témoignent donc des pérégrinations de cet artiste né à Virton (en 1890) mais qui a vécu à Chiny, petit hameau près de Florenville, pour rester proche de la nature … qu’il n’a eu de cesse de restituer «à travers ses lieux de prédilection» en Gaume, en Ardenne, au Luxembourg, en Flandre, dans le Massif central aussi, ainsi qu’en Espagne et au Maroc.
Le parcours nuance la palette – on sait Barthélemy plutôt friand de gris, de brun et de vert (photo ci-dessus) –, il diversifie les formats – petites gouaches incluses, ou études préparatoires à de grands formats – , tout comme le genre, nus, natures mortes et scènes bibliques s’ajoutant aux paysages.
Ce qui singularise cette expo, hormis les nombreuses possibilités de visites guidées – encore ce mardi 14, puis le jeudi 16, le samedi 18 et le dimanche 19/12 de 14.00 à 18.00h, ainsi que le mardi 21/12 de 10.00 à 18.00h –, c’est l’offre artistique, principalement musicale, qui l’enrichit… jusqu’au 22 décembre (jour du dévernissage avec, à 18.00h, le récital de piano de Loïc Cerfontaine). Et donc, notez qu’il reste quelques places pour les «Moments schubertiens» du vendredi 17/12, à 20.00h, aussi pour la conférence de Paul Mathieu, Camille Barthélemy, aujourd’hui encore, le jeudi 16/12, à 20.00h.
Si l’expo est entrée gratuite, par contre concert et conférence sont payants: 5 euros. A réserver au tél.: +32.(0)63.38.95.73. Masque obligatoire.
Pour conjurer la déprime ambiante, cochez dans votre agenda:
+ Pour en finir avec Ulysse ou la réinvention d’Enée, une conférence (en français) de Jean Portante, le 16 décembre, à 19.00h, à neimënster, portant non seulement sur le mythe historique et littéraire mais aussi le symbole de l’exil, de la migration et des réfugiés. Entrée libre, mais réservation obligatoire: billetterie@neimenster.lu ou tél.: 26.20.52.444. Org.: Institut Pierre Werner.
+ La lecture, ce soir, mardi 14/12, 20.00h, à la Kulturfabrik d’Esch, par Sofia Aouine de son prochain roman, faisant suite à Rhapsodie des oubliés, couronné du Prix de Flore 2019. Rendez-vous de repêchage… pour ceux qui auraient raté Sofia Aouine, documentariste convertie en romancière, au Casino Luxembourg le18 novembre dernier, invitée alors par Karolina Markiewicz et Pascal Piron dans le cadre de leur expo Stronger than memory and weaker than dewdrops.
+ Et enfin, Dreamer, les 17, 18 et 19/12, le nouveau solo de la chorégraphe et artiste Anne-Mareike Hess, associée de neimënster, qui s'aventure «au-delà de frontière qui sépare le réel de l'imaginaire et le ressenti du fantasme» (photo ci-dessus).
Comme dans Warrior (2018), où l’artiste s’interrogeait au sujet de la représentation de la masculinité, la chorégraphe construit un personnage, celui de la Rêveuse, pour explorer la vision que la société renvoie des femmes et décortiquer les stéréotypes qui leur sont associés. Le travail de recherche entamé au cours de sa résidence sur le site de neimënster, a porté «sur la représentation du corps féminin dans l’iconographie religieuse et moyenâgeuse, ainsi que sur ses attributs».
Pour ce nouveau solo, Anne-Mareike Hess se penche donc «sur les inscriptions patriarcales que les femmes ont inscrites au plus profond de leur chair». Dans Dreamer, il s'agit pour elle «d'utiliser le monde des rêves pour parler de toutes ces demandes, injustices et cruautés que l'on projette sur et que l’on fait au corps féminin».
Et donc, Dreamer vous attend à neimënter les vendredi 17 et samedi 18/12 à 20.00h, ainsi que le dimanche 19/12, à 17.00h. Chaque fois salle Robert Krieps. PAF: 22 euros. Réserv. tél.: 26.20.52 – 1 ou par mail: billetterie@neimenster.lu
Important. Une rencontre avec l’artiste est prévue à l’issue de la représentation du samedi 18, le temps pour Anne-Mareike Hess d’évoquer son processus de création et de présenter le recueil de textes et d’illustrations DREAMER: sketches of an artistic process qui contient des croquis et des textes de Thomas Schaupp, d’Anne-Mareike Hess, de Mélanie Planchard, Zee Hartmann, Luca de Vitis/ The Holy Garbage et de Marie-Laure Rolland.
L’ouvrage, réalisé avec le soutien de Kultur | lx - Arts Council Luxembourg et neimënster, a été conçu par Julie Conrad Design Studio (j’en profite pour signaler l’ouverture du magasin éphémère «Julie Conrad Design Studio» le jeudi 16/12, à 16.00h, au 30 rue des Capucins à Luxembourg-Ville). Ouvrage qui sera disponible gratuitement avant et après chaque représentation, ainsi que sur simple demande sur le site web de l’artiste à l’adresse: www.annemareikehess.co
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