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Marie-Anne Lorgé

Particules élémentaires

Plus qu’une fois dormir, et c’est juin. Le mois des roses et du retour, dans mon village, du carillon du marchand de crème glacée, vanille-fraise.


Sur cette pente florale et gustative, Luxembourg se met à l’heure du design, du 1er au 4 juin: ce barnum European Design Festival, avec sa salve de conférences et de tables rondes, entend braquer un projecteur «sur le design toujours pas reconnu au Luxembourg», tout en tentant de tout vous expliquer sur les particularités des créatifs designers du pays et sur les multiples disciplines du métier, soit (notamment) sur le Product design, le Digital Design, le design éthique, l’éducation au design, le design du milieu, le graphisme, l’édition, également sur l’intelligence artificielle (thème prisé/clivant, en compagnie de Marc Engenhart, le 02/06 dès 13.30h au «Casino») et sur le design dans la mode (selon Mike Bourscheid, même lieu même jour mais à 18.00h) – du reste, le 2 juin, c’est une complète journée dévolue aux causeries tous azimuts, toutes au «Casino».



Aussi, il y a des expos, et là, je coche Jailbird, qui est à la fois une marque de produits manufacturés par des détenus du centre pénitentiaire de Givenich à l’initiative de Défi-Job asbl et une expo desdits produits dans l’«Aquarium» du «Casino», dès ce jeudi 1er juin, 17.00h (vernissage) jusqu’au 4 juin – «pour réaliser les produits Jailbird, les détenus travaillent avec des artisans, des artistes et des designers; à mi-chemin entre art et artisanat, le produit final n’est pourtant pas l’objectif principal, c’est le processus de sa fabrication qui importe», transmission du savoir-faire, développement de liens sociaux et échange d’expériences inclus.


Et je coche Océane Muller, graphiste messine récemment diplômée (de l’ENSAD), qui présente ses recherches artistiques et de design au Casino Display (1 rue de la Loge) jusqu’en juillet. «La question de l’esthétique, des cultures alternatives et de leurs impacts sur le design, la virtuosité pure du trait et de la ligne claire, ou plus simplement le plaisir de l’expérimentation graphique, sont autant de sujets qu’elle questionne et développe dans sa pratique» englobant l’image dessinée numérique, la conception 3D ainsi que la vidéo et la photographie de montage – photo ci-dessus.


Sinon, pour rappel, il y a le déploiement de drapeaux dans l’espace public (expo What the Flag?! in Luxembourg), la projection du film Mon oncle de Jacques Tati le 02/06, 19.30h, au LUCA (Luxembourg Center for Architecture à Clausen) et le marché des créateurs le 04/06, de 11.00 à 17.00h, au «Schluechthaus», friche industrielle située dans le quartier de Hollerich.

C’est clair, le design nous fait circuler. Alors, notez bien qu’aux Rotondes (Bonnevoie), le 3 juin est une nouvelle journée complètement dévolue aux conférences, et que c’est en même temps le lieu des Awards. Du coup, remise des European Design Awards le 3 juin, à 19.00h, sachant toutefois que la cérémonie (payante) des Luxembourg Design Awards a, elle, déjà lieu ce 1er juin (à partir de 18.30h), assortie de l’expo des lauréats (vernissage à 20.30h), accessible jusqu’au 4 juin – j’espère que vous suivez… –-, en tout cas, il y a lieu de savoir que c’est une récompense fébrilement attendue par/pour «les plus de 100 designers luxembourgeois – des indépendants pour plus de la moitié –, autant de candidats porteurs de 269 projets/soumissions».


Et tout n’est pas dit. Ainsi, partant de la partie ouest de la «Ënneschtgaass» (rue Notre-Dame) qui longe l’entrée principale du Casino Luxembourg, lieu en transition continue depuis des années, lieu indéfini entre emplacements pour vélos, accès de livraison, zone de pots de fleurs en béton anti-terreur et parking sauvage, l’urgence s’est imposée de repenser l’endroit. Et c’est pourquoi, en trois journées d’échanges, le festival entend poser les premiers jalons d’une réflexion sur les possibilités de transformation de ce lieu. «A quoi pourrait ressembler un milieu-associé entre un centre d’art et la ville? Pourrait-on envisager que le Casino Luxembourg sorte de ses murs pour s’approprier le parvis».



Mais donc sur la pente florale, gustative et designeuse de juin, voici 5 petites escales qui méritent de ralentir le pas, il y est question (dans le désordre) de quai, de faune imaginaire, d’un festival des seul.e.s en scène (le Monodrama Festival - Fundamental), de garage et de festin ou Feast.


Feast (photo ci-dessus), c’est de la peinture et c’est le titre de l’actuelle expo de la galerie Reuter Bausch (Luxembourg) accueillant la plasticienne luxembourgeoise Catherine Lorent et l’artiste français Ugo Li, deux façons très personnelles de mettre en scène la réalité, tantôt dans l’imitation, tantôt transfigurée par une «nécessité intérieure». En tout cas, la couleur est au pouvoir. Le persiflage aussi – j’y viens ci-dessous.


Pour le garage, l’adresse, c’est Beau Site (Arlon), cette galerie précisément installée en mezzanine surplombant le show-room… d’un garage (garage éponyme): je m’attarde souvent dans ce lieu où, pour l’heure, 10 artistes «se jouent de l’espace». C’est multidisciplinaire, ludique, inventif, poétique, ça détourne la mécanique et ça déboulonne l’art où on ne l’attend pas. J’y viens aussi ci-dessous.


Non sans faire un autre mini détour belge, là, à Aubange, au Domaine de Clémarais, le temps de vous signaler Horizons champêtres et urbains, une expo foisonnante, avec «11 voyageurs du regard» au balcon (dessinateurs, peintres, aquarellistes, photographe… de la région parlant parfois de l’ailleurs). Promenade entrée libre jusqu’au 11 juin (les mardis, jeudis, samedis, dimanches, 14.00 à 18.00h).


Très chouette programme à la clé: visites guidées par Emmanuel Grégoire le mardi 6 juin à 10.00h et à 14.00h, 2 conférences – celle de Paul Mathieu le vendredi 2 juin, à 20.00h, proposant un petit parcours au travers des sculptures, statues, monuments ou stèles que l’on peut découvrir ici et là dans l’espace public luxembourgeois, et celle d’Emmanuel Grégoire le vendredi 9 juin, à 20.00h, consacrée aux peintres scandinaves, donc, une invitation à contempler les lacs et les fjords norvégiens, les forêts et les montagnes suédoises, les plages et les plaines danoises en compagnie de Dahl, Thaulow, Zorn, Larsson, Kroyer ou Willumsen – et concert de dévernissage «Piano à quatre mains» par Léna et Louise Kollmeier le dimanche 11 juin, à 18.30h. Réserv. tél.: ++32 (0)63.38.95.73.


Au rayon conférence, j’ajoute celle de Frank Wilhelm, prof émérite de l’Université de Luxembourg et spécialiste de Victor Hugo, intitulée Une belle inconnue: la littérature francophone luxembourgeoise. C’est une invitation de l’Académie luxembourgeoise et ça se passe ce soir, à 18.00h (donc, on se hâte), au siège de l’Académie à Arlon, 3 Parc des Expositions (tout à côté de la Maison de la culture). ça promet d’être passionnant.



Reprenons par le début.


Avec, en raccord avec l’European Design Festival, la Voie 15, aux Rotondes, un projet de «tranche de quai» qui se décline en 3 phases.


C’est parti pour la phase 1.

Voie 15 est une installation participative, d'un blanc immaculé à son ouverture – ce 1er juin, après la cérémonie des Luxembourg Design Awards, vers 20.30h – qui invite artistes et public à laisser une trace de leur passage dans la Galerie des Rotondes, sous forme de dessins, de tags, de graffitis, de collages, ou toute autre expression artistique urbaine. A vos crayons et sprays aussi le 2 juin de 14.00 à 18.00h, ainsi que les 3 et 4 juin de 10.00 à 18.00h.


En fait, à chacune des trois phases de Voie 15, des éléments viendront s’ajouter à l’installation, augmentant de manière significative la surface sur laquelle public et artistes pourront laisser leur empreinte. Et donc, la tranche de quai grandeur nature de la phase 1 sera complétée par, en phase 2, la locomotive, du 24 juin au 13 juillet, et en phase 3, par l’extension du quai sur le Parvis, du 28 juillet au 23 août.


Toujours à Bonnevoie, trois petits pas vers le TROIS-CL, à la Banannefabrik (12 rue du Puits). A l’affiche, le 3 juin (traditionnel/mensuel rendez-vous du «3 du TROIS»), une exploration des relations amoureuses selon Sarah Baltzinger et Isaiah Wilson, jeune chorégraphe luxembourgeois, qui «s’intéressent de près à ce qui les relie pour parler du désir de l’autre». Résultat? MEGASTRUCTURE, un puzzle sans composition sonore, sans décor mais une énergie percussive, où «les pièces se démontent, se cherchent, se casent, se testent, se réinventent en permanence. Les deux artistes se déplacent continuellement dans des mécaniques de corps et des manipulations insolites». Infos: www.danse.lu


Dans la foulée, toujours le 3 juin, mais à 21.00h, il importe que vous sachiez que la chorégraphe Simone Mousset présente Empire of a Faun Imaginary au Grand Théâtre de Luxembourg (photo ci-dessus © Camilla Greenwell) – et que pour la cause, une navette relie le TROIS-CL au Grand Théâtre. Et que raconte cette création? Simone Mousset «crée un cosmos dans lequel les choses restent dans un état de flou. Déclenchée par des sentiments d'oppression et de vide, et avec en toile de fond des catastrophes mondiales telles que la pandémie de grippe aviaire, la guerre en Ukraine et la crise climatique, elle s'interroge sur les mondes alternatifs possibles». Comment une expérience mélancolique et insaisissable du monde peut-elle être rouverte au miraculeux et au magique?


On reste à la Banannefabrik. Rampe de lancement du FMF, Fundamental Monodrama Festival, ravi d’à nouveau accueillir des seul.e.s en scène (comédien.ne.s, danseurs.euses, musicien.ne.s) de 8 pays (Belgique, Cameroun, Canada, Grande-Bretagne, Niger, Suisse et Luxembourg) du 9 au 18 juin. 16 spectacles, dont 8 créations (dont La poupée barbue, avec Juliette Moro, le 09, 20.00h, Je ne suis pas douée pour le malheur de/ avec Valérie Bodson, le 17, 19.00h et Après une longue apnée, récit autobiographique de Julien Mabiala Bissila, aussi le 17, 20.00h) et des works in progress, des fragments, des projets en devenir. Faites déjà vos choix sur fundamental.lu



Retour au centre-ville. Avec Feast, à la galerie Reuter Bausch. Et il s’agit bien de festin avec Ugo Li. Avec son interprétation de cela qui traduit notre époque, cette façon d’exhiber son déjeuner sur les réseaux sociaux. Pas un jour sans qu’un cassoulet ou qu’un menu végan n’électrise la communauté des followers.


C’est ce qu’Ugo Li peint/dépeint/stylise sur des nappes imprimées, la lumière s’exprimant par l’intensité des couleurs. C’est une revisitation de la nature morte, mâtinée de poésie (à en juger par les oiseaux roses et jaunes surgissant parfois ci et là). C’est le quotidien qui se met à table, sans âme qui vive (une absence/présence notamment trahie dans Triple Bird par deux bouts de chaussures visibles sous la nappe). C’est de l’accumulation, voire de l’inventaire à la Prévert comme dans Everything is Weird.


De bizarrerie, il en est aussi question avec Catherine Lorent, qui s’appuie sur l’apparence, le matériel pour, sans crier gare, y substituer la réalité intérieure et invisible de la vie – comme une sorte héritage à la Kandinsky.


Catherine Lorent, plasticienne et musicienne, est une artiste entière, sans calcul et sans filtre, dont l’œuvre est à son image, libre, complexe, rock et baroque – elle a notamment représenté le Luxembourg à la 55e Biennale de Venise, avec Relegation.


Elle rêve beaucoup, Catherine, et insère certaines des images de ses réminiscences dans ses compositions, souvent ourlées de sortes de volutes qui évoquent à la fois la vague – Catherine fait de la voile – et l’héraldique, l’ornement des blasons. Au milieu, souvent un paysage, une campagne indéterminée mais universelle, et un ciel bleu zébré d’un arc-en-ciel – l’artiste est une bonne pâte, perméable… aux genres (c’est l’un de ses vernis politiques) et aux humeurs –, avec aussi, surgissant dans le décor, une créature (le cobra dans Blue Hour Inflation, visuel ci-dessus), ou un objet (lié à l’univers musical, dixit le signe des cornes, gestuelle typique du metal, avec index et auriculaire tendus) ou un personnage, identifiable mais détourné par l’imaginaire de l’artiste, aux allures de fourneau alchimique.


Tout au long, Catherine hybride le romantisme et le dadaïsme, la rigueur et l’improvisation, les formats (petits papiers spontanés punaisés juxtaposés à des toiles), les techniques – dessin, gouache et huile brouillés, surface plane et relief –, la figuration et les formes abstraites, la culture élitaire et les références pop.


Une création déconcertante mais puissante. Catherine Lorent, fascinée par la catastrophe, par le feu, joue avec les éléments naturels, avec l’immobile et l’apparition, avec les associations instinctives – la spontanéité et l’intuition sont les deux mamelles de son mode d’emploi et à vivre. Et Catherine, qui ne va jamais en vacances, de s’inventer des horizons, jamais très loin du bleu de la mer, toujours prompte à transposer sur toile ce qui échappe à toute logique. Dadaïste, oui, mais d’abord une peintre véritable, en tout cas, une artiste viscéralement indépendante. Un personnage atypique et une œuvre du même acabit, rebelle mais généreuse.


Infos:

Reuter Bausch Art Gallery, 14 rue Notre-Dame, Luxembourg: Catherine Lorent et Ugo Li, Feast, peintures, jusqu’au 24 juin, www.reuterbausch.lu



Terminus: Arlon, tout le monde descend. Dans l’Espace Beau Site. Sis au n°321 de l’Avenue de Longwy, là où il y a 10 ans est né un collectif, précisément baptisé «Atelier 321» en référence à l’adresse du lieu et à son activité… mécanique (eh oui, c’est un garage !, parfait exemple de mécénat d’entreprise), afin d’expérimenter les possibilités de connecter deux mondes, celui du travail de carrosserie, de réparation d’automobiles et celui de l’art contemporain. Défi gagné pour ce 5e projet du collectif – l’ «Atelier 321» est biennal –, qui a cette fois fait le pari du volume immense, investissant tout à la fois la galerie-mezzanine et le show-room.


Ferraillé par 10 artistes membres du collectif, le résultat est bluffant, perfusé d’humour. Qui, hauteur de plafond oblige, mêle une idée de cathédrale – dixit l’ogive formée par des enjoliveurs en plexi colorés et les néons pastichant les tuyaux d’un jeu d’orgue – et la lecture d’un album qui sent l’enfance, en l’occurrence Martine au garage, conçu/écrit de toutes pièces comme une parodie de la série éditée par Casterman entre 1954 et 2014. A chaque page correspond une oeuvre, comme une façon de baliser, de donner un sens de visite – c’est charmant... en saluant un magnifique exercice d’écriture.


De haut en bas, de long en large, on croise Adam et Eve, deux silhouettes, deux dessins en acier dans l’espace penchés… sur une voiture miniature, puis une installation monumentale, composée de mains énormes (visuel ci-dessus) aux doigts reliés par des ficelles (celles du démiurge de la consommation), pièges déjoués par des petites créatures noires qui parviennent à échapper au manipulateur… Plus loin, des incubateurs de voiture –- sortes de cocons ou de chrysalides de bois et de céramique –, et des phares et pare-chocs moulés en papier. Enfin, deux œuvres au potentiel poétique, à savoir: des tranches carrées de plexiglas où divaguent des lettres noires, des mots à déchiffrer à travers la transparence et les reflets (on y perd son latin), et puis des gravures, des impressions avec aplats d’encre noire où tel outil rencontre tantôt la main tantôt le pied, où tel autre outil se confond à un fragment du corps.


A découvrir sans prise de tête et sans klaxon jusqu’au 18 juin, du mardi au samedi de 10.00 à 18.00h, le dimanche 4 juin, de 15.00 à 18.00h – www.espacebeausite.be

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