Je vous apporte deux bonnes nouvelles.
La première concerne les arbres. Capables, en cas de danger, non pas de s’enfuir, certes, mais d’appeler un animal pour le débarrasser des insectes susceptibles de l’asphyxier. A l’heure où des voix réclament (légitimement) d’inviter la nature dans les villes que nous avons créées nous-mêmes en l’y excluant, il serait donc criminel de feindre d’ignorer que l’arbre est un être intelligent.
La deuxième concerne les étoiles filantes. Nous sommes en août et c’est le mois de prédilection du passage des essaims lumineux baptisés Perséides. Observables de préférence par nuit claire, ou mieux observées en dormant … à la belle étoile.
Victor Hugo était friand de ciel étoilé, décor privilégié de sensations mémorables, accoucheuses de textes immortels. Comme d’affirmer, lors de la contemplation nocturne d’une abbaye anéantie par les âges par exemple – ça marche aussi pour une cathédrale vaincue par le feu – que «même sur un champ de ruines, on peut continuer à rêver».
Les Illuminations, c’était aussi le bagage du poète Rimbaud, surnommé «l’homme aux semelles de vent», puisque parti à 20 ans dans un bivouac qui allait relier les Ardennes françaises à Aden au Yémen.
C’est dire si «l’ailleurs», en rêver ou y mettre les pieds, obsède l’humain depuis un sacré bail. Souvent inspiré par des plumes (écrivaines), d’où l’histoire de poules ici rapportée, et de voyage décalé.
«Il était une fois. Il sera un jour»: c’est avec cette formule à l’allure de conte, qu’Eugène Savitzkaya – auteur (liégeois) dont la langue jaillit pleine de torrents – troue son nouvel opus intitulé Au pays des poules aux œufs d’or. Dans ce pays de fable cruelle, les poules auraient disparu, coupables de faire trop de bruit et donc, de contrarier le monde (pourtant expert en excès sonores). Sauf qu’à défaut de plumes, «plus d’œufs, plus de crème, plus de gâteau…».
C’est alors que surgit un couple étrange, fruit d’une improbable union entre une renarde et un héron, qui s’en va fourrager dans les herbes, dans tous ces lieux (montagnes, rivières, arbres) où nichent les désirs du vivant, cyprine, sperme et frai inclus: le voyage est jubilatoire tant il torpille la pensée convenue/convenante, celle-là, molle ou ignare, qui n’en finit pas de dévoyer le sens des merveilles. Et le voyage est transgressif tant il prêche l’ivresse.
Baudelaire en avait déjà fait une profession de foi dans son poème Enivrez-vous (relayé un jour par Serge Reggiani). «Il faut toujours être ivre». Mais de quoi? «Demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront: Il est l’heure de s’enivrer!». Mais rebelote, de quoi? «De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise», disait Baudelaire. Aujourd’hui, on dira de virages, de bosses, en tout cas, loin de la ligne droite.
Sans oublier une bonne paire de chaussures. C’est mieux pour crapahuter dans les chemins buissonniers. En ce cas, les pieds légers ne signifient pas forcément les mettre l’un devant l’autre. Explication. Imaginez une pause – une suspension, une parenthèse hors rails quotidiens –, imaginez surtout une pause dans la pause (il paraît que l’on parle alors «d’entro pause»), où, sans plan ni destination, tournant en rond dans une rue, par exemple, ou dans votre appartement – confiné.e ou pas –, vous remarquez ce qui généralement ne se remarque pas. Noter «ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages», c’est ce que Georges Perec appelait Tentative d’épuisement d’un lieu. Et le plus curieux, c’est que ça fait réellement (re)naître une envie, un trouble en tout cas, où les choses s’évaporent.
Dans le même cas de figure de la pause, toujours pas en mode transats, tongs ou soldes, mais délibérément dévolue à la marche – pas celle qui fait de la randonnée sac à dos un exploit, ni vraiment celle qui confine à l’exercice initiatique, quoique! –, il y a le simple tangage des voûtes plantaires. Juste le mouvement des semelles, aspirées par la route – un sentier, c’est encore mieux –, dont elles ignorent tout, et ça, c’est le pied.
Si les pieds sont souvent compteurs – de vers, de verre, de table, de nez –, ceux du marcheur sont toujours bienveillants, sans cri malgré les cors. Et quand les semelles hésitent, à une bifurcation, les pieds s’emmêlent: c’est le plantage grandeur nature.
Les disciples pédestres le savent, ça nourrit l’esprit en même temps que ça vide la tête. Sauf qu’en vrai, la tête est pleine. D’odeurs, d’images, de sons, et bon sang, que c’est bon. Si au retour d’un séjour peu ou prou exotique, tu rentres à maison, par contre, après une marche, tu rentres vraiment chez toi. Dans ton corps. Et du coup, dans l’espace tout autour. Garantie bon marché de prendre son pied.
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