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Marie-Anne Lorgé

Rayon textile

Le chapitre du jour plonge sous les frusques, les fripes, les vieux vêtements, ceux-là qui inspirent la chorégraphe Catherine Dreyfus (avec sa Cie ACT2) et ces autres-là, les bâches et les tissus perdus qui singularisent l’œuvre de Claude Viallat, l’un des membres fondateurs du groupe Supports/Surfaces, et qui ont édifié son internationale notoriété.


Curieux travail de couture, donc, qui nous conduit du Théâtre d’Esch/ Alzette à la galerie Ceysson & Bénétière à Windhof (ou Koerich/ Wandhaff).


Et puis, sans transition aucune, juste parce qu’il est impératif de parler d’une culture debout, quelques mots encore à propos de Multiplica, un événement initié par/aux Rotondes pour s’interroger sur le numérique à des fins artistiques et d’engagement citoyen – et l’arrivée sur Mars du robot Perseverance n’y est pour rien (quoique !).



Pour Claude Vialatt – né en 1936 à Nîmes –, 2020 fut une année féconde, en atteste une quarantaine d’œuvres monumentales qui habitent le vaste espace de la galerie Ceysson & Bénétière, qui l’enveloppent au sol tout autant que sur les murs, de façon particulièrement lumineuse.


L’expo s’intitule Dans tous les sens, et c’est un régal, à dimension muséale mais d’une étonnante vitalité. Et actualité.


En raccourci, Vialatt «peint des toiles sans châssis», c’est lui-même qui le dit lors de la première expo de Supports/Surfaces, le mouvement avant-gardiste de 1969. En fait, la «toile» en question est originellement à lire comme la grosse pièce de toile flexible caractérisant la bâche – militaire, industrielle, de protection, de construction, celle utilisée aussi pour les parasols (dixit une création de 1990 rameutée dans l’expo). Et donc, les supports de Vialatt sont et restent aujourd’hui des matériaux de récupération, essentiellement textiles, sur lesquels l’artiste «peint de façon neutre» – un retour au geste primitif – le même motif.


Ledit motif est une forme née fortuitement, comparable à une éponge, qui, au fil du temps, de très organique est devenue géométrique. Cette forme, c’est la lettre fondamentale et minimale de l’alphabet de Vialatt, c’est en même temps une empreinte, répétée, toujours la même, en d’infinie séries. Des séries d’un apparent même air de famille – un air édifié par l’assemblage ou raboutage de tissus – et pourtant sans cesse autres.


Dans les tissus, on nomme évidemment la bâche, mais aussi des voilages et d'autres textures diverses, toujours imprimées, parfois aussi épaisses que du velours, parfois aussi narratives que du papier peint. Autant de chutes et fragments donnés à l’artiste, au fil des jours, par qui veut, tout quidam. Et Vialatt de construire à partir de ces morceaux d’intimité, de vécu quotidien, une sorte de lame de fond collective et intemporelle, intensément colorée.


Vialatt questionne le processus de création; sa façon d’envisager l’acte artistique ranime les remises en cause des années 70, avec, pour héritage, la désacralisation de l’œuvre d’art et, en tout cas, du piédestal où l’artiste se complaît.


Toujours est-il que dans ses œuvres récentes, Vialatt s’émancipe de ses compositions rectangulaires ou carrées (comparables à des portes ou fenêtres) pour des partitions autrement débridées, déchaînées. Dont l’accrochage relève de l’exploit, accompli/réussi.


Mais tout n’est pas dit. Eh oui, Vialatt, c’est une œuvre polymorphe, avec, en marge de l’abstraction, une pratique plus confidentielle, celle du dessin, figuratif, exclusivement dévolu au thème de la tauromachie. Un Mur de la tauromachie, initié dès 1973 (et présenté dans l’expo), avec des portraits et scènes de taureaux, toreros/matadors ou ferias jetés sur des bouts de bois, des vieux couvercles en fer et autres supports improbables, atteste de la fascination de l’artiste pour la culture taurine, laquelle perfuse toute son histoire familiale. Du reste, c’est sur la collection de Vialatt que repose le fonds du Musée taurin de Nîmes, inauguré en 2002.


Dans la foulée, notez la parution d’un magnifique livre de bibliophilie précisément intitulé Claude Vialatt - Taureaux dans la collection Modernes, Ceysson Edition d’art.


Infos:

Galerie Ceysson & Bénétière, 13-15 rue d’Arlon L8399 Koerich / Wandhaff: Claude Vialatt, Dans tous les sens (photo: vue d’ensemble de l’expo), assemblages de tissus et peintures, jusqu’au 20 mars 2021. www.ceyssonbenetiere.com, tél.: 26.20.20.95.


Par ailleurs, notez aussi que le Musée national d’Histoire et d’art de Luxembourg ouvre une petite parenthèse à propos de Supports/ Surfaces, en mettant en lumière quelques œuvres de Vialatt mais également de Patrick Saytour, peintre niçois né en 1935, qui, au sein du groupe, «a toujours occupé, délibérément, une position marginale, critique, voire ironique». Expo à voir jusqu'au 28 août 2021.



Après plus d’une cinquantaine de dates aux succès unanimes, la Cie ACT2 pose ses valises pleines de frusques au Escher Theater, le 27 février, le temps de deux représentations à 14.00h et 16.00h (photo: ©Franck Delhomme).


Dans le spectacle, quatre personnages s’éveillent, comme perdus au milieu de l’amas de vêtements en tous genres et couleurs éparpillés/empilés sur la scène comme autant de symboles de vies oubliées, comme autant de rebuts d’une société consommatrice, comme autant, aussi, de trésors possibles, les danseurs construisant des univers distincts, formant et déformant l’espace comme un enfant ferait une cabane avec des draps. C’est le lieu d’histoires fantastiques, de la poésie qui réenchante, toutefois déjouée par la hantise du désordre, l’adulte injonction du rangement. Mais toujours, «quelqu’un rattrape l’autre à l’invention, et c’est beau».


Frusques, un spectacle chorégraphique de 40 min. à recommander pour le jeune public, que les plus grands… ont tout à gagner à ne pas bouder.

Infos: theatre.esch.lu – réservation: tél.: 2754 -5010 -5020 ou par mail: reservation.theatre@villeesch.lu



Quant aux Rotondes (Luxembourg-Bonnevoie), elles nous fixent rendez-vous du 26 au 28 février, pour donner le ton à son nouveau festival Multiplica qui renonce à la formule «vitrine» de deux jours pour se donner le temps de la réflexion, ce, quatre week-ends durant, jusqu’en décembre.

Et donc, «aller plus loin dans la réflexion sur les changements de comportements sociétaux liés aux technologies, l’exclusion de la sphère numérique en raison de l’âge, de l’apparence et du genre, et l’impact des technologies sur l’environnement», tel est l’objectif de Multiplica 2021, mouliné à coups de rencontres et d’ateliers participatifs, dont un «edit-a-thon» (contraction de «éditer» et «marathon»), Focus sur les Afro-descendant∙e∙s au Luxembourg, le 27/02 de 14.00 à 16.00h, en ligne via Zoom (gratuit mais inscription obligatoire: www.multiplica.lu/edit-a-thon).


Ce qui n’empêchera pas le public de découvrir des œuvres «absolument captivantes» exploitant le potentiel du digital – à l’exemple de The Arrival, le dernier EP de Frieder Nagel (il est question d’un arbre qui prend vie/ s’illumine au passage des promeneurs nocturnes, enveloppé de bruits ambiants et de mélodies mélancoliques), EP présenté en première le 26/02, de 21.00 à 22.00h, soutenu par les créations visuelles de Maotik –, mais aussi citoyennement engagées.


La preuve avec subassemblies, le concert audiovisuel du Japonais Ryoichi Kurokawa conçu comme une expérience sensorielle unique (le 27/02, de 20.30 à 21.15h). A la base du projet (photo ci-dessus), des images de forêts, de bâtiments et de ruines reconstituées à partir de données 3D, des visuels déformés puis reconstruits, «ce qui a pour effet de renouveler la chronologie acceptée de l'histoire et les (dés)ordres établis, tout en révélant simultanément les forces de la nature et de l’art».


La preuve encore avec le Belge Dries Depoorter dont les deux installations questionnent les réseaux sociaux et la problématique de la surveillance. Et avec l’artiste français Joanie Lemercier dont La Forêt de Hambach, installation audiovisuelle immersive, «offre une plongée dans un trésor naturel devenu plus grande mine de charbon d’Europe. Tout en dénonçant l’injustice climatique et la destruction de la beauté originelle du site, elle met en lumière la capacité de mobilisation de chaque citoyen et enjoint à l’action» (à voir en continu, le 26/02 de 18.00 à 22.00h, le 27/02 de 14.00 à 22.00h et le 28/02 de 11.00 à 18.00h).


Notez enfin Résister grâce aux technologies, une table ronde qui «risque fort de bousculer les idées préconçues», en compagnie d’artistes, curatrices, hackers et activistes (Joanie Lemercier, Juliette Bibasse, Rosa Paardenkooper, Sam Grüneisen), le vendredi 26/02 de 19.00 à 20.30h. En anglais avec traduction simultanée vers le français. Entrée gratuite, inscription obligatoire: www.multiplica.lu/fighting-back-with-technology


Infos:

Multiplica. Digital Arts and Realities, aux Rotondes, Luxembourg-Bonnevoie, www. multiplica.lu – www.rotondes.lu. Ou par tél.: 2662.2030.

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