Plus fort encore qu’une évasion en pleine ville, la nouvelle exposition permanente de la Villa Vauban nous «permet… de revoir la mer», c’est le directeur Guy Thewes qui le dit, et il n’a pas tort, le parcours commence par les flots indomptés de Gustave Courbet pour se terminer au milieu de splendides marines et autres scènes de plage (dont d’Eugène Isabey).
Mais déjà, la Villa Vauban, vous connaissez ? Installée au cœur du parc municipal, c’est une magnifique demeure bourgeoise du XIXe siècle, dont l’histoire a connu bien des rebonds. En raccourci, disons qu’aujourd’hui, et surtout depuis 2010, dans la foulée d’une trentaine d’expos temporaires, ladite Villa Vauban se positionne comme «un musée pour tous», histoire d’exploser les barrières qui «pourraient intimider le profane et l’empêcher de prendre plaisir». Bien sûr, les passionnés d’art y trouvent aussi leur compte.
Aujourd’hui, le lieu franchit un nouveau cap, en ravalant totalement ses cimaises pour offrir aux pépites picturales et sculpturales de sa collection – principalement dévolue à l’Âge d’or néerlandais (XVIIe siècle) et à la peinture française du XIXe siècle (mais pas que) – un écrin permanent.
Et franchement, ça vaut le détour. C’est la halte à inscrire sur la liste de vos envies – surtout en période estivale, quand vous disposez de davantage de temps, selon du reste que ce temps soit trop maussade ou trop irrespirable.
Et justement, le temps, c’est la botte secrète de cet accrochage permanent. Qui attache «une importance à l’éducation du regard»… sachant qu’apprendre à regarder les œuvres requiert précisément… de prendre son temps. Non pour comprendre mais… pour ressentir. En clair, on ne vient plus en visite, on se promène.
Une promenade que l’on peut prolonger dans le parc, qui, pour l’heure, et durant tout l’été (jusqu’au 12 septembre), accueille Les paysages du Kairos, une installation photographique conçue par Dominique Auerbacher et Holger Trülzsch dans le cadre du mois européen de la photographie.
Alors, concrètement, elle nous dit quoi, cette collection? Et voyons de près ce que le lieu raconte –parce que le passé éclaire le présent, et que ce passé, comme un roman-fleuve, balise «la vie de Luxembourg au point de vue culturel mais aussi urbanistique» (dixit Lydie Polfer, bourgmestre).
La collection, c’est l’addition de trois legs majeurs, de Jean-Pierre Pescatore (1793-1855) d’abord (photo ci-dessus), puis de Léon Lippmann (1808-1883) et d’Eugénie Dutreux-Pescatore (1810-1902), banquiers et industriels luxembourgeois, tous collectionneurs (majoritairement) de peintures à l’huile «reflétant le désir de représentation de la grande bourgeoisie». Un fonds originel qui, depuis les années 90, grâce à une dynamique de collaborations développée par Danièle Wagener, s’est considérablement enrichi de dons et acquisitions, couvrant toutes les époques, dont actuelle, de l’art national et international.
Quid du lieu ? «Seule rescapée de la première urbanisation qui a fait suite à la démolition de la forteresse», la Villa Vauban a été acquise en 1949 par la Ville de Luxembourg, soucieuse de respecter la volonté de Jean-Pierre Pescatore «de faire don de sa collection… à condition d’avoir un musée» (cette condition date de 1853). La chose fut faite, inaugurée en 1950. Commencent des travaux et reconversions à répétition – le Grand-Duc Jean et la Grande-Duchesse Charlotte y ont eu leur résidence lors de la rénovation du Palais grand-ducal en 1995.
Et tout ça nous conduit jusqu’à l’agrandissement de 2010, cette extension contemporaine qui jouxte le bâtiment historique formant désormais le «Musée d’art de la Ville de Luxembourg»: un phare dans le paysage muséal de la capitale… auquel ne manquait qu’un maillon, celui d’un accrochage permanent. Lequel déterre résolument le patrimoine des réserves – en même temps, selon le thème des expos temporaires, certaines œuvres majeures de la collection ont régulièrement été mises en perspective, oeuvres que, du coup, le visiteur averti retrouve dans l’installation désormais durable.
En tout cas, la médiation se penche particulièrement sur les jeunes publics et les familles. La preuve d’entrée de jeu, avec une expérience multimédia immersive (due à Daniel Wangen, Christian Mahler et Alain Richard), une projection géante où treize tableaux s’animent (un clin d’œil par ci, un sourire par là: non seulement le système n’est pas neuf, mais ne fait pas l’unanimité parmi les puristes), où, surtout, les vagues de Courbet font mine de nous engloutir.
Au même rayon multimédia, notez que l’application «Villa Vauban», censée rendre l’art plus accessible, vous permet – sans vous déplacer – de (re)vivre votre promenade «vaubanesque» via «des contenus diversifiés».
Allez, on circule, je cueille pour vous quelques œuvres incontournables (Teniers, Canaletto, Courbet ou Delacroix) mais aussi certaines de ces autres encore jamais montrées – restaurées ou dépoussiérées – qui contribuent à qualifier ce rendez-vous renouvelé – moyennant une scénographie de toute beauté – de belle surprise.
La première salle couleur framboise est consacrée à Gouden Eeuw, l’Âge d’or désignant le fulgurant essor de la peinture hollandaise et flamande du XVIIe siècle, qui atteint une qualité jamais égalée – ne zappez pas le Paysage avec moulin et charrette de Jan Breughel le Jeune, pas plus que les scènes de genre de David Teniers le Jeune, ni, plus inédit, le merveilleux Paysage fluvial avec une ferme et des pêcheurs attribué à Jan van Goyen, hormis Le roi boit, huile (nouvellement acquise) de Mattheus van Helmont.
On traverse Gens et lieux – salle de ton étain – pour atterrir dans L’Italie rêvée, «la destination obligée pour l’école de la lumière»: là, entre les marbres de Lorenzo Nencini, deux superbes perspectives (ou vedute) du Canal Grande vénitien vu par Le Canaletto, accompagnent deux Jeunes napolitaines mises en scène sur fond de Vésuve par Guillaume Bodinier (photo ci-dessus).
Tout à côté, dans un espace-couloir intitulé Du grand art en petit format, s’alignent des miniatures, autant de petits portraits commandés par des nobles afin de les offrir en cadeau – notez aussi une délicieuse série paysagère sur porcelaine.
Un étage plus bas, le temps de croiser le monumental et sensuel Bacchus du classique Nencini – la sculpture a été exposée lors de la première Expo universelle à Londres en 1851 –, un étage plus bas, dis-je, vous entrez de plain-pied avec L’art français autour de 1850: bonjour Eugène Delacroix, Camille Corot et Courbet.
Suit une salle quasi d’apparat – rideau rouge, table ronde et chaises tapissées de velours grenat –, dédiée aux acquisitions (datant de 1850/51) de Jean-Pierre Pescatore, en l'occurrence portraituré grand format, assis et décoré, par Louis-Aimé Grosclaude (1784-1869) – revoir la première photo ci-dessus. Autour, en provenance de la collection royale néerlandaise, noyées dans des cadres opulents, des natures mortes, des troupeaux, des vues de lacs ou de rivières (Moselle y comprise, selon Koekkoek) et, plus inattendue, la grivoise Fête des rois de Jan Steen (1626-1679).
Et le circuit se termine dans les eaux, parfois imprévisibles, donc tempêtes, naufrages mais aussi calmes retours/départs de pêche. Dépaysement total. Outre l’unité paisible entre l’homme et la mer qu’Eugène Isabey traduit remarquablement, il y a par exemple La Seine à Neuilly capturée par Jean Gudin, qui fait lien avec l’école de Barbizon.
Et tout n’est pas dit. Profitant de ses travaux de régénération, la «Villa» a installé une œuvre monumentale dont la BIL lui a fait don, à savoir: une mosaïque de François Gillen. Qui a nécessité une lourde restauration et inspiré par ailleurs un accrochage temporaire d’une quinzaine de petites œuvres de «cet artiste polyvalent, réputé pour son abstraction géométrique et colorée».
Gageons que le virus muséal vous gagne. Bonne raison pour déjà réserver votre déambulation à travers Paris à la Belle Epoque, à l’affiche de la Villa Vauban dès le 3 juillet.
Photos Villa Vauban, salles Une collection royale (Jean-Pierre Pescatore) et L’Italie rêvée, © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg, photo: B. Fuge, 202I
Infos:
A la Villa Vauban - Musée d’art de la Ville de Luxembourg (18 Avenue Emile Reuter): Une promenade à travers l’art. Peintures et sculptures européennes, XVIIe – XIXe siècles. Exposition permanente. Catalogue de 176 pages (10 euros) – villavauban.lu
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