Qu’est ce qui se passe d’horrible aujourd’hui ? Voilà la rituelle question d’un cynisme bravache qui fait que chaque matin, je trace un sourire de confiture sur ma tartine… tout en touillant mon café noir, dans lequel, invariablement, tombent mes mots du jour.
Sur le coup de 7 h a d‘ailleurs surgi un souvenir amer, celui d’avoir dû vider la maison et empaqueter la vie de ma mère dans deux valises. C’était un jour de septembre. Et ma mère reste un être… solaire. Juste 4 voyelles et 3 consonnes... mais capables de nommer la beauté.
A bord, j’embarque Arnaud Cohen, Eric Chenal, Monique Voz, Mike Bourscheid, des artistes singuliers, pourfendeurs de système, parfois transgresseurs toujours généreux, surtout accélérateurs de singularité et tricoteurs de sens – du reste, c’est en bout de post que je tire le portrait de Monique Voz, une fondue de mathématiques et de théologie philosophique, passionnée de cosmogonie, qui fabrique des objets lumineux et en mouvement (visuel ci-dessus) où percole le conte, un récit convoquant tant les runes (alphabet nordique) que le mystique moyenâgeux (incarné par des femmes…). Récit pluriel, ruisselant au demeurant en une série de petits livres, chacun qualifié de roman initiatique et poétique, chacun traversé par une Dame – dans La Dame du Jour, il est question d’un voyage dans le monde de la physique quantique. Pas de panique, pour habitée que soit la création de Monique, elle est d’abord féerique.
Remarquez que l’épouvantail des fins de vacances s’habille souvent d’un laborieux vocable: le… scolaire. Mais sitôt que vous l’amputez d’une lettre, le « c », septembre a un culot magnifique, celui de rimer avec… solaire.
Et septembre, avec ses verts qui rouillent joliment et ses jours qui s’évanouissent comme les pommes, c’est un mois de métamorphoses. Ce qui me permet de saluer le comeback inattendu de Gregor Samsa, ce personnage qui (en 1915) se réveilla un matin métamorphosé en cafard… dans le récit de Franz Kafka, auteur austro-hongrois aujourd’hui devenu viral – cent ans après sa mort (en juin 1924) – par la génération Z qui s’en réclame comme d’une voix qui refuse de se laisser écraser, accordant dans la foulée une attention inespérée à la compagnie des livres – battant en brèche les relations virtuelles – , à la littérature comme source de réconfort et d’évasion pertinente à l’ère du numérique où les adolescent(e)s cherchent souvent des connexions profondes à travers les mots. Les profs ont ainsi leur mantra de rentrée…
Notez accessoirement que c’est en septembre que les Journées du patrimoine ressuscitent tout ce qui compose notre environnement bâti (historique ou non) et sociétal.
En Belgique, ces journées, qui ont eu lieu les 7 et 8 septembre, me donnent l’occasion de vous parler d’une expo dédiée à la mémoire encore vive de notre sidérurgie défunte. Direction Aubange, sur le site du Clémarais (ancienne ferme rénovée, réaménagée en pôle touristique). C’est là que l’asbl «Athus et l’acier», créée en 1997, soit 20 ans après la fermeture de l’usine d’Athus, et obstinément présidée par Anne-Marie Biren – toujours en attente d’un lieu où déménager son musée –, invite 3 regards posés sur l’hier et l’aujourd’hui du paysage du bassin sidérurgique façonné par les cathédrales d’acier.
Des regards de 3 artistes, 2 photographes, Jocelyn Faroche et Robert Voirgard, et une dessinatrice-graphiste, la Luxembourgeoise Malou Mathieu, une «urban sketcheuse», qui raconte l’histoire d’un lieu in situ, en se posant devant avec son cahier à dessin – travail minutieux, tout en finesse, d’une vibratoire humanité. Le 14/09, de 09.30 à 12.30h, Malou – qui a publié Minett, un livre devenu référence en matière de vestiges miniers et industriels du Grand-Duché (visuel ci-dessus) – propose au Clémarais un atelier d’initiation à l’«Urban Sketchers», technique de dessin et à l’aquarelle.
Originaire de Metz, Robert Voirgard, affecté dès l’enfance par le démantèlement du patrimoine métallurgique lorrain, opte pour un réenchantement: grâce à des manipulations numériques, les géants d’acier photographiés se transforment en abstractions, une création quasi picturale saturée de couleurs acidulées, de volumes et lignes dynamiques, une façon de gommer non pas l’identité du lieu mais la sinistrose liée à son abandon.
Et puis, pour l’hommage historique, il y a Jocelyn Faroche, un Parisien au cursus en arts visuels suivi à La Cambre (Bruxelles), sensibilisé à la force brutale des destructions totales des usines du bassin de Longwy par ses amis de Rehon. Résultat, un patient travail photographique documentaire étalé sur 5 ans, de 1988 à 1922, un corpus de 144 photos en noir et blanc intitulé Douze fabriques aux carrés (désormais intégré dans les collections de la BnF), un témoignage aussi puissant que bouleversant du déclin d’une région, déjà exposé en 1997 lors d’un triptyque transfrontalier et qui donc se réactive aujourd’hui au Clémarais, 27 ans plus tard, certes, non pas in extenso, mais en une sélection toujours cerclée d’un cadre d’acier, noir comme le deuil, qui n’a rien perdu de sa force dramatique.
En clair, L’acier en noir et en couleur, c’est une expo qui vaut le détour, accessible tous les jours de 14.00 à 18.00h jusqu’au 22 septembre, assortie d’un cycle de conférences et d’une visite de l’ardoisière de Haut-Martelange le samedi 21 septembre. Rens.: info@aubange-tourisme.be
Tant qu’à faire, prolongez votre circuit en Gaume, précisément à Montauban-Buzenol, site (forestier) du Centre d’art contemporain du Luxembourg belge qui célèbre ses 40 ans en essaimant. Je vous ai déjà touché un mot de l’installation sculpturale de lattes noires de Rainer Gross à l’Abbaye d’Orval mais il y a aussi (notamment), à Virton, la délicate façon dont Emilie Magnan tente, par la sororité, de révéler la présence de la beauté dans un monde terrible, ce, dans l’Espace Marguerite Brouhon (rue Charles Magnette, en face de l’Hôtel de Ville – attention l’expo expire déjà ce 15 septembre (visuel ci-dessus: photo ©Julie Roland) – et Nathalie Maufroy qui propose Nature vivante, une oeuvre immersive audiovisuelle et numérique au Musée gaumais (jusqu’au 3 novembre).
Nathalie Maufroy que l’on va par ailleurs retrouver dès ce 13 septembre (vernissage à 18.00h), dans le foyer de la Maison de la culture d’Arlon, avec une série de photographies augmentées, questionnant nos rapports à l’espace, cherchant la représentation du vivant dans l’objet et nos environnements.
Au Luxembourg, lesdites journées patrimoniales en l’occurrence placées sous le thème «Routes, réseaux et connexions» auront lieu du 27/09 au 06/10. Arrêt, tout le monde descend au LUCA (Luxembourg Center for Architecture, rue de la Tour Jacob) qui donne carte blanche au photographe Eric Chenal, ça se passe le 25/09, à 18.30h, ça s’intitule PC8, c’est le résultat d’une mission documentaire axée sur l’édification d’une piste cyclable, liaison aérienne entre Esch-sur-Alzette et Belval, rien de bien transcendant, sauf que pour l’artiste Chenal, biberonné à la philosophie, pétri de spiritualité, la photographie est un travail sur l’intériorité, et l’espace, un édifice de soi à construire. Et donc, par un duel d’ombre et de lumière, faire advenir l’épiphanie, la transformation du prosaïque en sacré, de quoi désormais enfourcher son vélo… comme une prière.
Photo encore, avec Daniel Wagener, l’actuelle coqueluche de la discipline, celui qui, aux Rencontres d’Arles 2023, a détourné la chapelle de la charité en autel industriel avec ses grands formats couleurs capturant avec humour l’accident et l’absurde des chantiers urbains, celui qui, printemps 2024, a transposé son Opus Incertum en portique dans le Pomhouse (Dudelange) et qui en a décliné une version cartes postales dans Pick one, en juin, dans la galerie Valerius, Daniel Wagener, donc, vient, précisément à l’invitation de la même galerie Valerius, de se distinguer à la 11e foire internationale d'art photographique «Foto Tallinn» (Estonie) – bref clin d’oeil pour vous rappeler que 3 villes se partagent le titre de capitale européenne de la culture 2024, soit: Tartu (au sud-est de Tallinn), Bad Ischl en Autriche (avec sa Kaiservilla, superbe propriété de style Renaissance offerte en cadeau de mariage à l’empereur François-Joseph et à son épouse… la célèbre Sissi) et Bodø, en Norvège, la capitale la plus septentrionale jamais désignée, ses 52 000 habitants vivant ainsi juste au-dessus du cercle polaire (dans la région du Nordland).
Daniel Wagener, photographe luxembourgeois, vit à Bruxelles. Et c’est dans la galerie bruxelloise de Nosbaum Reding (rue de la Concorde à Ixelles) que le plasticien et performeur luxembourgeois Mike Bourscheid expose Weeping Sand Castles (Châteaux de sable qui pleurent) dans le cadre de RendezVous, ex Brussels Gallery Weekend, une organisation nouvelle qui célèbre la richesse et la diversité de la scène artistique contemporaine du 12 (vernissage à 17.00h) au 15 septembre.
Mike Bourscheid (né en 1984 à Esch-sur-Alzette, vivant à Vancouver), c’est un personnage décalé et son travail l’est tout autant, qui s’ingénie à saper les codes, à commencer par notre conception du rôle de l’art dans notre quotidien. Son étonnante création, hybride, mixte d’autoportrait et de fiction, table sur le déguisement et le détournement d’objets domestiques qui racontent sur un mode enjoué, voire ironique, sinon cynique, des histoires sur l’identité de genre, les stéréotypes, l’héritage familial – perfusé par le textile, la couture – et l’histoire culturelle.
Bourscheid a représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise en 2017, et l‘artiste sélectionné pour le pavillon luxembourgeois de la vénitienne biennale de 2026 est désormais connu, c’est une femme, Aline Bouvy qui aussi refuse les compromis et développe une œuvre polymorphe. C’est le Casino Luxembourg qui va en assurer le commissariat, sachant que 2026 correspondra au 30e anniversaire dudit «Casino», première institution culturelle à organiser la présence luxembourgeoise à Venise et qui a à son actif l’organisation de 7 pavillons luxembourgeois.
En attendant, pas question de résister à l’expo bruxelloise de Mike Bourscheid, ses Châteaux de sable qui pleurent squattant la galerie Nosbaum Reding jusqu’au 5 octobre, laquelle galerie étant par ailleurs l’initiatrice, à Luxembourg, d’une foire d’art aujourd’hui incontournable qui en est à sa 10e édition, du 22 au 24 novembre.
Pour cette session anniversaire, la LAW (Luxembourg Art Week) invite Delphine Dénéréaz, artiste française (née en 1989) diplômée de La Cambre, fondue d’artisanat et de réemploi de matériaux textiles domestiques, à dessiner les contours de l’espace sans cimaise du Café. Et donc le «Café Delphine», inspiré d’une ville imaginaire envahie de végétation, sera une architecture aux pans redistribués et combinés à Un lieu à soi, petite chapelle fleurie déstructurée pour proposer au cœur de la foire une «place de village» vibrante, de sa fontaine à son hôtel, où tout à chacun est invité à se rassembler (visuel ci-dessus).
Avant de tirer comme promis le portrait de Monique Voz – vertigineuse incarnation d’un bouillon philosophico créatif –, je me permets un ultime détour international afin de rebondir sur Arnaud Cohen. S’agissant de codes à dynamiter et d’urgence de désirs artistiques à restaurer, l’artiste essentiel, c’est lui, Arnaud Cohen.
Je vous en ai parlé dans mon post faisant escale à Majorque, dans la «Babel Mallorca», lieu d’art de résistance et de bienveillance fondé par le frondeur Cohen et où, complice, Enrico Lunghi avait curaté une constellation intitulée Here I am, between realities and utopias, perfusée par l’utopie et la beauté, l’une des choses les plus subversives aujourd’hui.
J’avais ainsi annoncé une nouvelle imminente collaboration Lunghi-Cohen sous la forme d’une expo monographique, là, à Moret-sur-Loing, en lisière de forêt de Fontainebleau, eh bien, on y est. Précisément, on est dans l’espace de création baptisé Le Mur (sis 8 avenue de Sens). Rendez-vous avec les Effacements de Cohen, qui nous promène, à travers des oeuvres pleines de mélancolie lucide et d’ironie savante, parmi les traces des gloires pathétiques d’un monde au bord du gouffre – partition brûlée, blaireau empaillé, chevalets entassés, brouillage de peintures anonymes et moult artefacts, objets ou autres réemplois, aussi, en marge de la logique prédatrice totalisante et suicidaire, un dessin de Victor Brauner, dédié à un ami dont le nom a été gratté, rappelant l’infime durée d’une existence humaine face à l’immensité noire et silencieuse de l’oubli.
L’expo ne se rate sous aucun prétexte – du reste, c’est la dernière du Mur – du 15/09 (vernissage le 14/09, à partir de 18.00h) au 2 novembre (entrée libre vendredis, samedis, dimanches, jours fériées de 15.00 à 19.00h, tél.: 00.33.6.08.68.40.30).
Terminus à Arlon. Avec Monique Voz. Prof de math’ de formation, bardée aussi d’un master en informatique et en théologie philosophique, tombée dans la marmite artistique par un impérieux besoin spirituel et intellectuel, artisanal aussi, Monique Voz est une sorte de fée, qui, le matin, cueille de la rosée lunaire pour la transformer en un distillat conservé/offert dans des petits flacons tubulaires – typiques des labos médicaux – aussi lumineux que mobiles.
Monique récupère des globes, posés sur de vieilles boîtes de conservation de films recyclées en socles patinés bronze, elle y fait graviter des perles, autant d’astres d’une poétique de la cosmogonie.
Monique travaille l’infiniment petit pour dire l’infiniment grand comme une orfèvre – d’ailleurs, elle fabrique des bijoux, des bagues, des anneaux – de laiton et de bronze – où sertir tantôt des pierres semi-précieuses aux pouvoirs symboliques, tantôt des formes en silicone ou résine, parfois encore des figurines animales, le chat surtout, parfois le renard, autant de jouets miniatures exhumés d’un coffre à jouets. Les tiroirs de Monique en débordent, en vrac.
Sur sa table de travail, d’un coté de quoi souder à l’argent tout ce qui brille mais n’est pas or – dans la foulée, on s’étonnera peu de l’intérêt de la tutoyeuse d’étoiles pour l’alchimie –, de l’autre, de quoi souder à l’étain toutes ses inventions électroniques. Monique manipule les puces et les relais électriques en experte et le tout accouche d’objets qui font référence à la fois à la boule à facettes et à la boîte à musique – ça relève du merveilleux, tendu par une lumière qui nous relie à ce qui nous dépasse tout en faisant du bien au corps.
Le sensoriel bienfaisant et édifiant, c’est, sans pontifier, l’un des points cardinaux de l’engagement artistique de Monique. Sa chaise électrique, bleue, plantée de fleurs de résine connectées le prouve… non sans humour – sitôt que vous vous y adossez, lesdites fleurs vous massent comme des doigts…
La fleur, oui, mais surtout la rose. En droite ligne du jardin Voz, là où Léonard de Vinci et Mona Lisa, deux rosiers grimpants, cultivent des dialogues secrets.
La rose, c’est aussi celle de Sainte Thérèse de Lisieux, qui, en prophétisant sa mort, annonça: «Vous verrez, après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses». C’est pourquoi, dans l’iconographie qui lui est associée, la sainte tend ses mains remplies de ces roses qui symbolisent la grâce… et les grâces.
Et justement, c’est par l’intermédiaire de Thérèse que j’ai découvert la dernière expo de Monique Voz, ces 7 et 8 septembre, à Arlon, à Saint-Martin, église consacrée… au Sacré-Cœur. Le propos? Une dévotion… au cœur, partagée par six artistes célébratrices de cœurs confectionnés en matières diverses, tous connectés, donc battants – avec un pouls choral amplifié dans l’édifice – et chacun placé sous une coupole translucide, la transparence étant agent de liaison cosmique. Dans le médaillon créé par Monique, le moule du cœur du bas-relief représentant Sainte Thérèse, une petite feuille coulée dans le bronze et des pétales séchés exhalant, comme par miracle, un parfum discret, une trace olfactive… de Léonard de Vinci et Mona Lisa.
De là, une visite de l’atelier de Monique (à Bonnert) s’est imposée comme une évidence. Rencontre avec un univers… qui tutoie l’Univers, le décrypte. A coups de globes, de loupes – cfr ses livres microscopiques faits main, en laiton, où, sur papier bible, se déploie en accordéon une fable possiblement amoureuse –, d’oeufs (visuel ci-dessus), de courbes – de façon performative, Monique a ainsi développé une théorie sur l’univers courbe – de cercles, de signes.
Foncièrement timide, éduquée par un père au religieux rigide, Monique, cette énigme des noces des sciences et des arts, de la spiritualité et de l’humain, navigue à l’aise dans les écritures, l’araméen et l’hébreu, cite Galilée – signalant au passage que son œuvre Apolo 22, un ensemble de panneaux de signalisation routière transformés en indicateurs astronomiques, participe de l’hypothèse inversée du réchauffement climatique – et les grands mystiques, d’abord des femmes, source de tous ses combats. Et Monique de confesser que dans tout ce qu’elle vit, la lutte ou le conflit constitue comme une force créatrice, rejoignant ainsi la pensée d’Héraclite, en tout cas, actuellement seulement… car rien ne dure.
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