Sortir du cadre
- Marie-Anne Lorgé
- 12 févr.
- 6 min de lecture
Flotte déjà un air de carnaval…
J’avoue, la pluie de confettis, ce n’est pas ma tasse de thé, le masque non plus… grosso modo déchu de son originel/rituel pouvoir mystique. En même temps, s’il s’agit de se protéger ou de se divertir – les deux mamelles de ces temps incertains –, alors, hop, sacrifions à la mascarade.
De masque, il en est par ailleurs question dans les peintures de Jim Peiffer (galerie Julie Reuter), aussi dans celles d’Olivier Souffrant (galerie Zidoun-Bossuyt), et je vous propose d’en faire (plus bas) une visite éclair.
Sinon, accessoirement, sachez que Venise aligne son carnaval 2025 (du 22/02 au 04/03) sur le temps de Casanova, personnage historique exubérant, surtout jouisseur, d’abord séducteur.
Sans lien de cause à effet, notez que Cupidon s’invite cette semaine, avec ses flèches d’amour symbolisant cette fête, la Saint-Valentin, désormais aussi célébrée pour signifier sa gratitude envers ceux qui nous sont chers et qui tombe le 14 février – c’est qu’au XIVe siècle, on pensait que les oiseaux choisissaient ce jour pour s’apparier… et il y a sans doute du vrai si j’en juge par l’actuelle pagaille sonore de mon jardin, les mésanges se volant dans les plumes.
En tout cas, me faut vous causer d’Oto’s Planet et de Ceci est mon coeur, deux œuvre immersives actuellement installées/présentées au Cercle Cité – suivez-moi plus bas, émerveillement sensoriel garanti.

Dans l’immédiat, puisqu’on en est au rayon cœur, postulons que la langue de Molière porte en germe le génie de l’amour. En tout cas, c’est la thèse défendue par Jacques Perry-Salkow, pianiste et auteur, qui nous convie à une causerie autour des palindromes, des anagrammes ou encore des lettres d’amour codées, ce, lors d’une causerie programmée ce 12 février, à 19.00h (eh oui, faut se hâter !), à neimënster (à l’invitation de l’Institut Pierre Werner, infos: www.ipw.lu).
Pour ceux qui aiment chercher le joli sens caché derrière les mots, cochez dans la foulée le spectacle de Guillaume Clayssen, un mélange de documentaire sonore, de leçon de philosophie et de performance acrobatique pour déconstruire les préjugés sur l’intelligence et la bêtise. Suis-je bête ?! (tout public, en langue française, 70’), ça se passe le 13 février, 19.00h, aussi à neimënster (infos: neimenster.lu).
Deux mots aussi sur Jill Crovisier, lauréate du Lëtzebuerger Danzpräis 2019 qui, au Grand Théâtre, le 14 février, présente sa nouvelle création The Game-Grand Finale (comme le titre l’indique, ça parle de jeux) – un film s’attarde sur ce qui fait la singularité de la chorégraphe, et ce film, A la recherche du corps perdu, réalisé par Marie-Laure Rolland à qui l’on doit un premier court-métrage documentaire sur Anne-Mareike Hess en 2022, est à l'affiche du CineKursaal de Rumelange le 28 février à 20.00h (je dis ça pour ceux qui auraient raté la première projection ce 10 février, à la Cinémathèque de Luxembourg). Le film a été produit avec le soutien d’une Carte Blanche du Film Fund Luxembourg.
Et deux mots encore à propos de Nora Wagner dont l’expo Fragments d’une histoire partagée revient sur les événements qui ont chapitré son voyage, à pied, dans la région du Luxembourg de mai à fin août 2024, une itinérance autogérée jalonnée de rencontres, baptisée «La Capsule», d’où est née une action performative transformée en film, aussi en une installation (visuel ci-dessus) encore visible à la Stadtgalerie Saarbrücken jusqu’au 16 février. Se frotter à ce projet d’art expérimental, c’est s’immerger dans des dessins, poèmes ou des textes, tous collectés lors du parcours, et qui s‘offrent comme une vision du futur qui peut inspirer tout le monde.
C’est ici que je tente un raccord avec le Cercle Cité. Parce que réflexions et immersion sont deux mots qui font écho aux deux œuvres actuellement présentées dans l’espace du Ratskeller (rue du Curé, Luxembourg), sachant que, du coup, ce sont deux environnements artificiels – parfaitement magiques –, anticipant en l’occurrence l’ouverture du Pavillon de réalité virtuelle du Luxembourg City Film Festival – lequel Pavillon prendra, lui, ses quartiers à neimënster, dès le 6 mars.

De quoi s’agit-il ? D’Oto’s Planet et de Ceci est mon coeur. Deux virtuoses façons de combiner le récit et la qualité graphique. Mais deux approches différentes d’une œuvre immersive, et participative.
Dans les deux cas, maîtrise du récit il y a, et voix off, et poésie, et message universel (Oto’s Planet ajoute du ludique à son exploration du monde).
Mais là où Oto’s Planet est une fable artificielle – au demeurant récompensée à la 81e Mostra de Venise (Prix spécial du jury de la section Venice Immersive, 2024) –, impliquant une isolation par le casque, Ceci est mon cœur, avec son allure de conte, est né d’un vécu, de l’intime, et livre cette exploration de soi en une expérience collective, dans un espace physique.
En tout cas, «expérience», c’est le bien le mot qui caractérise ces deux oeuvres qui interpellent pareillement notre rapport à la réalité et à nos émotions.
Zoom sur Ceci est mon cœur, une œuvre de fragilité et d’humanité, créée par Nicolas et Stéphane Blies, le récit d’une réconciliation d’un enfant avec son corps, ou, plutôt, l’histoire d’un homme en prise avec l’acception de soi, la résilience.
Concrètement, enveloppé dans une sorte de poncho de samouraï, coiffé d’un casque audio, le visiteur pénètre dans le Ratskeller, espace plongé dans l’obscurité, théâtre d’images végétales ou organiques, aussi célestes qu’aquatiques, merveilleux ballet graphique hybridant animation et vues réelles. Entre poussières d’étoiles, vols d’oiseau, herbes folles, formes proches de l’amibe, puis corps, tout flotte et navigue dans une nuit liquide, ou une eau aussi noire qu’une nuit. Au milieu, chacun s’assied ou déambule, surtout écoute, emporté dans l’odyssée sensorielle par la voix d’un narrateur inspiré et par les broderies du poncho connecté qui s’illuminent comme des lucioles au fil du récit. Et de son amour extraordinaire (visuel ci-dessus, photo ©Cercle Cité_IK). Temps suspendu. La beauté au bord des yeux.
Sinon, dans Oto’s Planet, de Gwenael François, on suit les aventures d’une sorte de Petit Prince 3.0, prénommé Oto, flanqué de son chien Skippy, tous deux débarqués sur une planète mystérieuse et sa vie paisible, jusqu’au jour où se crashe un vaisseau spatial: à son bord, un personnage moins sympa, Oxo. La cohabitation s’avère délicate. Et dans le sillage, il est question de la peur de l’autre, de partage, d’appropriation des terres, d’émergence des frontières ou du poids de l'appartenance à un écosystème global.
Avis aux dépasseurs de réel, jusqu’au 6 avril, tous les jours de 11.00 à 19.00h (inscription requise via le site du Cercle Cité ou directement à l’accueil de l’espace d’expo): www.cerclecite.lu

Pour se délivrer du monde, rendez-vous avec Jim Peiffer, artiste luxembourgeois qui n’en finit par de traduire son chaos intérieur, une percolation des inquiétudes, voire des angoisses, d’un homme démuni, comme une furieuse sensation d’être étranger au monde, ce monde que pourtant il livre dans une fantasmagorie peuplée de créatures hybrides et figures totémiques… comme des remontées d’images d’un monde où confluent le réel perçu par l’oeil physique et la réalité éprouvée par l’oeil intérieur.
L’oeuvre – figurative – de Jim Peiffer reste visible à Bastogne, à L’Orangerie, jusqu’au 2 mars; pour l’heure, elle s’expose jusqu’au 22 février dans la galerie Reuter Bausch (14 rue Notre-Dame, Luxembourg), curatée par le photographe Christian Aschman qui jette un oeil aussi affectueux que décalé sur l’univers de l’artiste à travers son atelier (cfr l’impression jet d’encre Basketball où un ballon s’est échoué dans un pot comme une fleur improbable).
Et l’univers de Jim, sur toiles et autres supports (carton, papier kraft, tôle ondulée, planche de bois, sac en tissu), à l’acrylique, au spray, au crayon, au stylo bille ou au feutre, c’est une dynamique formelle et mentale où percolent le collage et l’appropriation, celle, esthétique, d’un Basquiat ou d’un Combas – avec contours en gros traits noirs saturés de couleurs – et celle, chromatique, d’un Matisse par exemple.
A travers diables, dieux, têtes de mort et autres figures à la fois familières et étranges, certaines primitives, dans l’opulence des tons, suintent un pouvoir obscur, une dose d’exorcisme et cette expressivité imputée à l’art naïf. Ce qui est indubitable, et qui fait la singularité de la création de Jim, c’est sa totale liberté, et sa sincérité.
A la fois guerrier et spirituel, l’art de Jim Peiffer surprend aussi par le dessin, au stylo bleu, un fouillis millimétré où, au milieu d’éléments architecturaux (identifiables ou non), émerge/erre un nu féminin. L’homme démuni aurait-il trouvé un salut… par l’amour?
Infos: www.reuterbausch.lu

Impossible de ne pas conclure en vous rappelant l’expo qui, à la galerie Schlassgoart (Pavillon du centenaire, Esch-sur-Alzette), rend hommage à un grand voyageur et humaniste, le peintre eschois François Schortgen (1935-2015), à ses contrées humaines, éthiques et oniriques. Un Voyage au coeur du silence (visuel ci-dessus) accessible jusqu’au 15 février.
Comments