A Book of Days, c’est le récent livre de Patti Smith, une compilation de 365 posts (photos & textes) issus de son compte Instagram, et c’est «une lumière face à la noirceur du monde». C’est que, oui, l’icône du punk rock, qui prend évidemment conscience de la déferlante de guerres et de crises, «refuse de se laisser submerger par le sentiment d’impuissance», alors, adepte des solutions positives, «aider là où cela est possible» et puis … créer, sachant que la poésie est à l’origine de tout ce qu’elle crée.
Et la poésie, c’est le mode à voyager immobile de Christian Bobin, l’explorateur contemplatif, ou, plutôt, «c’était», car ce prince de la grâce s’est éteint le 23 novembre. Mais bien sûr immortel tant «les poèmes sont des pièges qu’on pose dans la forêt du langage et qu’on recouvre de silence. On vient de temps en temps les relever, voir si ange s’est fait prendre».
Alors, Bobin n’était pas du genre (inclassable, du reste) à «faire l’économie de la gravité de l’existence», mais, pour la cause, et «par courage» – eh oui «c’est une erreur de débutant de croire que pour être vrai il faut vénérer le désespoir» –, il préférait aller vers «l’infiniment simple» et vers toutes ces choses que la vie moderne nous enlève, nous vole, à commencer par l’attente, la beauté d’un visage, la cabane de son Creusot natal, un merle dans la nuit, les hirondelles du couloir de sa maison et les fleurs poussant «à travers les pavés disjoints du trottoir».
Alors, voilà, l’oiseau, c’est mon allié du jour – raccord notamment avec le chardonneret, non pas celui du tableau de 1654, fleuron du musée Mauritshuis de La Haye, qui, sur son perchoir, est au cœur d’un film adapté du fameux roman de Donna Tartt sur le destin tourmenté d’un orphelin, mais celui juché sur le doigt d’un garçonnet portraituré par le peintre hollandais Bartholomeus van der Helst (1613-1670), une huile exposée à la Villa Vauban (photo ci-dessus), où actuellement s’affiche une sélection de 60 peintures, dessins, gravures, sculptures et photographies, du 17e jusqu’au 21e siècle, donations et acquisitions mêlées, complétant ses collections (je vous raconte un peu plus tard).
Mais donc, l’oiseau, c’est mon allié du jour, tout comme les pavés, ceux-là taillés par la céramiste Marie Chantelot et que le poids plume d’un moineau fait s’écrouler le long des cimaises de l’Espace Beau Site à Arlon (lire ci-dessous).
En même temps, par défaut, donc sans pavé, Yann Tonnar dresse un singulier portrait de la ville – de Luxembourg, en l’occurrence –, où dans le silence qui s’étire entre la poussée urbanisante et la résistance de la nature, on pourrait entendre… chanter un rossignol (dites-moi si c’est le cas au LUCA et à la galerie Nosbaum Reding, en tout cas, je vous en parle ci-dessous aussi).
Dans le décor, j’appelle aussi (brièvement) l’arbre. Soit, le tronc que Jhemp Bastin attaque/sculpte à la tronçonneuse comme pour en percer les secrets, puis qu’il calcine, faisant cohabiter mort et résurrection. En fait, au bois qui dit l’arbre, matière vivante, l’artiste confère ainsi un pouvoir légendaire, celui de renaître après consumation dans les flammes: l’arbre est donc un phénix, tout comme le phénix est… un oiseau mythique. A sa façon, Jhemp Bastin nous offre donc une relecture des auteurs antiques, où percole le renouvellement des temps. A (re)découvrir dans la galerie Simoncini (6 rue Notre-Dame, Luxembourg), jusqu’au 23 janvier (infos: www.galeriesimoncini.lu).
Parlant mythologie, c’est dans les bois que souvent loge la sorcière, thème précisément d’une conférence de Corinne Kohl, qui se penche sur cette figure diabolisée depuis 1487, persécutée pendant plus de deux siècles: comment en sommes-nous arrivés là et qui aujourd’hui peut être la sorcière?, réponse ce jeudi 1er décembre, à 19.30h, dans le très beau site du Moulin de Beckerich (salle Scheier), entrée gratuite, réservation tél.: 691.510.371 ou info@dmillen.lu – c’est par ailleurs là, au même moulin, dans la jolie petite galerie qui y fait farine que Serge Koch expose, jusqu’au 11 décembre, avec, à la clé, des performances à la fois électroniques et récitées (en allemand) les 2 et 17/12, en compagnie de Mark Theis, Pascale Behrens et Patricia Lippert (entrée gratuite mais inscription par tél.: 621.25.29.79 ou mail: millegalerie@beckerich.lu).
De fil en aiguille, retour à la céramique, qui a le vent en poupe «dans l’espace artistique contemporain», tout comme d’ailleurs… le travail du fil, à l’exemple de la fantasmagorie brodée par Mary-Audrey Ramirez au cœur de l’expo des finalistes du LEAP (The Luxembourg Encouragement for Artists Prize) aux Rotondes – laquelle expo expire le 04/12, et donc, en ce dimanche de finissage, notez, à 16.00h, que Stefania Crisan, la lauréate de ce LEAP 2022, activera l’ensemble des performances liées à son projet Geamana.
Sur le fil de l’Histoire – en l’occurrence de la complexité du phénomène migratoire luxembourgeois – et sur le fil à suivre, fil transcripteur ou raconteur – sans toutefois s’agir de peinture à l’aiguille – , notez encore Re-Retour de Babel, à Dudelange, aux Centres d'art Nei Liicht et Dominique Lang, une expo qui s’appuie sur les témoignages (et les portraits photographiques réalisés par Andrés Lejona) de descendant.es d’immigré.e.s et sur les œuvres d’artistes contemporain.e.s qui traitent d’exil et de migration (infos: www.re-retourdebabel.lu).
Et justement, Chantal Maquet et Aïda Schweitzer interviendront lors de la visite guidée particulière proposée le 3 décembre, de 17.00 à 19.00h: Chantal présentera son Graphic Novel «Dat huet näischt mat mir ze dinn» abordant le lien luxembourgeois au colonialisme, ainsi que le racisme au quotidien, quant à Aïda, elle lira un poème inspiré d’un voyage aux côtés de Massaïs, raccord avec sa pièce exposée Nos peaux colorées d’une teinte d’espoir.
Entrée gratuite, sur réservation: marlene.kreins@dudelange.lu
De l’aiguille (ou du textile) et de la céramique, en partage, une idée du temps (suspendu, disparu, raccommodeur, «épiphaneur», c’est selon). Et une fragilité. Et bien sûr, les mains.
Les mains dans la terre. Et le jeu avec le feu. Si vous êtes passés par le Salon du CAL, rien ne vous a sans doute échappé des sculptures de Doris Becker, poreuses comme des éponges, alvéolées comme des coraux. Et si vous passez par l’expo New Minett à la Konschthal Esch, attardez vous (encore jusqu’au 11 décembre) sur l’organique biosphère de porcelaine de Bénédicte Vallet, qui, sur un tissage de chanvre et fibres naturelles, bouture un bestiaire extraordinaire composé de motifs coralliens.
Et pour l’heure, c’est sur les pratiques de 4 céramistes scénographiées par Pierre François, dans sa galerie-mezzanine, l’Espace Beau Site, à Arlon, que je braque mon projecteur. Ça vaut le détour.
On croise Sylvie Hoffmann et sa porcelaine de papier roulée en bâtons comme autant de très délicats parchemins, Sonja Scheitler et ses cratères, volumes creux de matière brute, d’où éructe une sorte de bave, une petite éruption de verre fondu, blanc ou rouge, et puis Catherine Vermeiren, avec ses sculptures organiques oscillant, selon leur vernis ou leur matité, entre foie, cerveau, intestin et créature d’un autre âge, fossile, sinon ... pangolin.
Enfin, voici Marie Chantelot la sensible, une conteuse porcelaine, une passeuse… fascinée par la disparition, par la vulnérabilité au temps. Qui jette un pavé dans la mare de notre quotidien. Ou, plutôt, des pavés. Des dizaines de petits cubes creux, tous différents, de guingois, colorés en brun, ocre ou blanc, censés bâtir les murs qui protègent et qui, tout autant, séparent, enferment ou en appellent à la violence.
Sauf que voilà, tous les pavés sont pacifiques, joyeux, voire même gourmands, d’aucuns servant parfois de supports à un fin dessin, au portrait en traits économes d’un oiseau souvent bleu – c’est un transfert, cuit dans la masse. Surtout, à chacun de disposer de ces pavés comme il l’entend, de les regrouper comme il le souhaite. Et dans l’installation voulue par Pierre François, le mur est effondré, les pavés se répandent comme des dés, la métamorphose opère – c’est en cela que Marie se dit passeuse –, à la fois formelle et sémantique, puisque le pavé dit aussi la plage, célèbre métaphore de liberté héritée de 68, et l’oiseau dit tout à la fois la résilience – malgré/ dans le gris uniforme urbain – et l’extinction – en raison du même gris bétonné urbain.
Ailleurs, même alliance des contraires, ou inversement de valeurs, la fragilité faite force/ la force devenue perméable, et même démarche sérielle, répétitive, et pour la cause éminemment contemplative, mais avec des dizaines de petites formes en porcelaine blanche semblables à des mini barques, agencées en cercles concentriques, avec, en chacune, au fond, un œil bleu, une pastille de verre fondu dont le bleu s’intensifie à mesure qu’il s’éloigne du centre, comme s’il s’agissait d’une eau… susceptible de faire basculer la frêle embarcation. L’illusion percole (photo ci-dessus).
Ces «barques», Marie les nomme cénotes, par analogie à ces puits, avens, gouffres naturels creusés par les eaux dans un terrain calcaire, auxquels les anciens Mayas assignaient un caractère sacré, et donc, le cénote installatoire de Marie Chantelot est en quelque sorte un hommage à une civilisation… disparue.
L’expo simplement baptisée Variations céramiques comprend également un «comptoir des petites formes», soit: des vitrines où des pièces sélectionnées par chaque artiste peuvent être acquises sur place et emportées par le visiteur.
Infos: Espace Beau Site, 321 Avenue de Longwy, Arlon, jusqu’au 18 décembre, du mardi au samedi de 10.00 à 18.00h, les dimanches 11 et 18 décembre (dévernissage) de 15.00 à 18.00h. Tél.: + 32 (0) 478.52.43.58, www.espacebeausite.be
Dans le «portrait de banlieue» brossé par Yann Tonnar, il y a certes du bâti/béton, mais pas que, loin s’en faut. Déjà, le propos n’est pas de taper sur le clou de l’urbanisation «made in Luxembourg» – ni non plus, d’ailleurs, de flatter quelque soit l’angle de vue. Et déjà, Stadtrand (c’est le titre de l’expo) est le résultat photographique d’un parcours VTT effectué (un an durant) en périphérie. Donc, le long de la frontière topographique de la ville mais à la marge. «Là où l’urbanisation s’efface, où la nature et le temps font valoir leurs droits et où même la civilisation, parfois, s’effrite».
Du reste, pas d’âme qui vive, le silence, un climat de sortie d’hiver (c’est la période privilégiée par Yann Tonnar) et des situations insolites, tantôt incongrues (comme un mirador de chasse à la lisière du «Bambësch»), tantôt anodines (à l’exemple d’un trampoline abandonné à flanc de terrain vague, photo ci-dessus) – d’ailleurs, fin limier serait celui qui pourrait identifier les lieux –, autrement dit, une rencontre sensible, lente et à ras de pédales, entre Yann et sa ville natale. Entre lui et elle, un rapport intimiste. Au final, si Stadtrand documente un visage urbain insoupçonné – peut-être par l’auteur lui-même –, en tout cas, c’est tout autre chose que (du) documentaire.
Le regard est celui d’un réalisateur de retour à ses premières amours, la photographie, et c’est l’œil cinéaste qui percole bel et bien dans moult images, quand, notamment, il capte l’absence et/ou l’errance à travers un réverbère solitaire planté dans une sorte de non-lieu du Kirchberg: c’est atmosphérique et un tantinet désabusé, un temps et une introspection à la Wim Wenders.
Et toujours un cadrage sur le ciel qui mange les trois quarts du paysage, avec, ci et là, une attention esthétique, quasi picturale, comme dans le bleu d’un fragment de mur, un bleu rehaussé, devenu de mer ou d’azur… digne de David Hockney.
Le cyclo road movie lui va bien, à Yann. Alors, Stadtrand, portrait d’une ville «qui s’étend et se redéfinit», donnant lieu, dans l’espace et le temps, «à une superposition d’usages et d’infrastructures», d’ordre et de chaos, de bâti et de nature, oui, mais surtout, ou d’abord, une échappée belle, du genre à recentrer, apaiser, l’artiste Tonnar… autrement absorbé par le montage d’un film afin d’en délivrer toute l'«essence» décrite par le scénario …
Stadtrand – diaporama photos, tirages suspendus et tirages papier disposés de façon circulaire, comme sur une table d’orientation – au LUCA (Luxembourg Center for Architecture), 1 rue de la Tour Jacob, Luxembourg- Clausen, jusqu’au 13 janvier, du mardi au vendredi de 12.00 à 18.00h, le samedi de 14.00 à 18.00h. Visites guidées et programme cadre. Infos: www.luca.lu
Parallèlement, Stadtrand en une sélection de 39 tirages est à voir à la galerie Nosbaum Reding, espace Projects, 4 rue Wiltheim, Luxembourg (Marché-aux-Poissons), jusqu’au 14 janvier (www.nosbaumreding.com).
Notez aussi, au n° 2a de la même rue, à la galerie Hans Fellner, une expo de grands formats photographiques de Linda Blatzek, Miikka Heinonen, Jean-Luc Koeinig et Ma Zagrzejewska (www.fellnercontemporary.lu). Signe avant-coureur du Mois européen de la photographie 2023?
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