L’OVNI s’appelle Valérie Reding. Qui entreprend de radicalement mais joyeusement pulvériser tous les stéréotypes de genre en une série de sept portraits photographiques.
Modeste, l’exposition n’en vaut pas moins le détour tant elle est aussi singulière qu’ébouriffante. Sauf que pour s’en régaler, il faut se hâter: HVNGRY, c’est comme ça que l’expo s’appelle, retournera en Suisse où elle a été conçue, dès la fin du mois de juillet.
Ça se passe à la Banannefabrik, dans cet ancien bâtiment industriel, sis au 12 rue du Puits à (Luxembourg) Bonnevoie, qui abrite toutes les activités artistiques du TROIS C-L, Centre de création chorégraphique luxembourgeois. Si le lieu reste actuellement fermé au grand public, c’est le douloureux sort du secteur des arts vivants en post-confinement, il vous est néanmoins loisible de prendre rendez-vous: le travail de Valérie Reding ne prend pas de gants, mais il s’apprécie même masqué. Donc, y a pas à hésiter.
Du reste, il n’y a que de bonnes raisons de franchir la porte du 3CL. Qui espère s’ouvrir largement le 3 septembre, lors de ce désormais incontournable rendez-vous mensuel qu’est le 3 du TROIS. Cette première soirée de reprise, cette première action physique du TROIS le 3 septembre dépendant toutefois du bon alignement des étoiles sanitaires, on croise les doigts.
En attendant, si le corps est en veilleuse, il n’est en aucun cas à l’arrêt. La preuve avec Dance from Home, un concours vidéo-danse inédit! Qui invite le public (nous tous) à voter jusqu’au 14 juillet (au soir) – c’est dire l’urgence! – parmi les créations que des danseurs/danseuses et chorégraphes professionnel(le)s du territoire luxembourgeois – dont Jill Crovisier, AWA, Elisabeth Schilling, Sarah Baltzinger, Yuko Kominami – ont filmées dans les conditions strictes du confinement (d’avant le 11 mai 2020) «dans le salon ou dans le jardin, sous le soleil ou la pluie», partageant leurs vidéos, d’une durée maximale de 10 minutes, sur la nouvelle plateforme baptisée KulturKanal (www.kuk.lu), là où chacun/chacune peut donc voter pour sa vidéo favorite, la remise des prix ayant lieu le 16 juillet, à 19.00h, en retransmission live sur la même plateforme KUK.
Retour à Valérie Reding et à HVNGRY, sa mini expo accrochée dès février mais stoppée en plein vol pour cause virale.
Artiste luxembourgeoise (travaillant en Suisse), Valérie Reding est une talentueuse et tonique touche-à-tout – danseuse de formation, mais pas que, son cursus mentionnant des études d’architecture à Zurich, un Bachelor en Arts et Média toujours à Zurich, ainsi qu’à l’Université des Arts Appliqués de Vienne – qui utilise le corps dans sa pratique artistique. Corps dont elle «explore l’endurance et le potentiel de transformation afin d’examiner les questions de genre, d’identités et de relations de pouvoir».
Le corps en question, c’est le sien – mis en mouvement dans son travail performatif personnel – , c’est aussi celui de performers qu’elle met en scène dans son travail visuel. Celui-là qui précisément exulte dans HVNGRY, une série photographique sur aluminium, saturée de couleurs et de luminosité, pailletée comme un dancefloor pendu à une boule à facettes.
Valérie, qui vit dans le milieu trans, adepte de travestissement, de grosses fêtes aussi, trimballe son regard féministe dans ce travail très décomplexé, particulièrement ludique et surtout, extrêmement ouvert aux représentations allosexuelles et altersexuelles, en tout cas, loin, bien loin et «au-delà des limites de l’hétéronormativité binaire».
Le projet est à l’image de l’artiste, furieusement décalé, à prendre au troisième degré, et interdisciplinaire, sachant que Valérie est aussi maquilleuse et costumière – HVNGRY est donc une oeuvre dont elle a tout conçu et réalisé de A à Z, scénographie, cadrage et toutim – recourant au grotesque, ne se refusant aucun détournement d’accessoires, fétichistes y compris – dont le cuir, le harnais placé en jarretière –, puisant dans toutes les références, de l’esthétique camp à la culture pop, en passant par l’iconographie baroque et religieuse.
Au final, les sept personnes (non-binaires) portraiturées forment une sorte de constellation de beautés autres, toutes mises situation comme des allégories, de la gourmandise par exemple, dans le cas précis du modèle bleu (cfr photo: © Marco Pavone), aussi plantureux que scintillant: c’est d’ailleurs le portrait coup de cœur de Bernard Baumgarten, directeur artistique du TROIS C-L, qui fut lui-même modèle à 25 ans, en plein essor du body painting, et qui souligne l’actuel retour en force du maquillage sur la scène, du costume aussi.
HVNGRY, c’est un panel «d’icônes de l’ère post-gendre». On croise ainsi le Gladiateur, un pied posé sur un tabouret- fesses, l’index fumant une banane, symbole hautement phallique, gainée de strass. On toise la verte Méduse qui, arborant sur la poitrine une cartouchière remplie de bâtons de rouge à lèvres, tient d’une main la tête décapitée d’une Barbie au sang bleu. Et on côtoie la Sorcière, échappée de son funeste paradis, avec, d’un côté la pomme qui a renversé l’humanité et de l’autre, des doigts d’or portés alignés à la ceinture, comme autant de trophées.
Valérie ne lésine sur aucun cliché.Il n’empêche,chaque «figure» confine à la sculpture, faisant de chaque composition une véritable œuvre d’art. Et il n’empêche surtout qu’au travers de l’artifice, ce que l’artiste vise, c’est l’authenticité – cela qui permet à chacun/chacune de juste dire «je suis» – , ou de créer pour le moins «des espaces possibles pour toutes sortes d’expressions de soi».
Infos: TROIS C-L: www.danse.lu, tél. (00.352) 40.45.69
Comments