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Marie-Anne Lorgé

Un plein des sens

Jeppe Hein, c’est un (hyper connu) lutin danois (né en 1974), un être exquis adepte de l’«ici et maintenant», une formule épicurienne et humaniste qui remonte à l’Antiquité, corrélée à la nécessité de se recentrer sur ses 5 sens – et la saison est propice, chaque pas alléché par l’odeur du fanage, des herbes fauchées qui sèchent dans les champs. En tout cas, une formule que Jeppe le malicieux, mieux qu’un philosophe et aussi bien qu’un yogi, un jardinier ou un joueur de billes, rend parfaitement soluble en art. Dans son art «de générer l’empathie et de faire sourire».


Mode d’emploi? Créer un dispositif, toujours d’une remarquable simplicité formelle, qui implique directement le spectateur, lequel, ainsi placé au cœur de la création, se trouve captif/acteur d’une expérience, chamboulant sa perception de l’espace environnant.



En l’occurrence, l’espace, c’est la Konschthal Esch, investie sur plusieurs étages, dans tous ses recoins. Et le dispositif, c’est une spectaculaire construction en rails d’acier, une monumentale installation cinétique qui traverse tout le bâtiment comme une attraction foraine, une montagne russe facétieuse en mal d’exploration. Sur les rails, une grosse boule blanche en plastique, libérée par un capteur, parcourt les 2.200 mètres du circuit en 12 minutes, «passant par des loopings, des virages serrés et d'autres sections dynamiques» (photo ci-dessus).


Le visiteur se régale comme un enfant. Il suit sa boule, jusqu’à en perdre la trace dans le labyrinthe architectural, d’autres visiteurs, à intervalle de 15 secondes, ayant déclenché une nouvelle boule (il y en a 30 au total, de 1,5kg chacune). Ballet surprenant, hypnotique et sonore. Accessible à tous, par tous, de tous âges. L’art descend de son piédestal, les murs en gondolent…


Et cerise sur le gâteau, raccord avec le passé de la ville tout d’autant qu’avec sa promotion de capitale européenne de la culture, «l'aspect mécanique de ce travail (intitulé "Distance") rappelle l'ère industrielle d'Esch, une ère de machines qui est désormais révolue ».


On joue – parce que «jouer, c’est aussi comprendre» – jusqu’au 4 septembre. Entrée libre: mercredi 11.00 – 18.00h, jeudi 11.00 – 20.00h, vendredi/samedi/dimanche 11.00 – 18.00h. Visite guidée gratuite de l’expo tous les samedis à 15.00h. Infos: Konschthal Esch – Espace d’art contemporain, 29-33, bvd Prince Henri, Esch-sur-Alzette, konschthal.lu


On reste à la Konschthal, pour une découverte diablement intéressante, celle des «metalworks». Une expo inédite – servie par une scénographie aussi minimaliste qu’originale – qui met «à l’honneur le savoir-faire et les expérimentations scientifiques d’artistes et designers internationaux pour illustrer les caractéristiques et certaines méthodes de traitement d’un seul matériau: le métal». Je vous explique tout ça plus bas.


Non sans d’abord vous donner des nouvelles des tiers-lieux culturels (autres fers de lance d’Esch 2022). Au nombre de trois, tous ancrés dans le patrimoine industriel, à ne pas muséifier, ni dénaturer.



Et donc, il y a le «VeWa», une construction de deux mots, vestiaires et wagonnage, qui désigne un bâtiment de l’ancienne usine sidérurgique de Dudelange, transformé à coups de chantiers participatifs – orchestrés par DKollektiv – en un lieu de vie et espace de création. Où appel est une ultime fois lancé à tout qui veut encore ajouter une pierre à l’édifice, en l’occurrence ce samedi 23 juillet, de 09.30 à 17.00h – info@dkollektiv.org


Et puis, à Esch-sur-Alzette, il y a le Bâtiment4, sis dans le domaine du Schlassgoart, où découvrir le projet «de sensibilisation à la pollution de l’environnement» initié par Jessica Theis qui, pour la cause, a photographié «les déchets sauvages que les gens laissent derrière eux». L’expo photographique 1001 Tonnen est encore accessible (au 1er étage du Bâtiment4) du 15 au 17 juillet, de 14.00 à 19.00h.


Enfin, dans la même encablure, il y a le FerroForum installé dans l’atelier central de l’ancienne usine d’Arbed Esch-Schifflange, devenu «le centre du Savoir-Fer», un lieu extraordinaire où apprécier l’expo de Romain Girtgen (photo ci-dessus) qui a documenté photographiquement la mise en œuvre du projet FerroForum et la lente transformation de l’usine abandonnée. C’est de toute beauté. D’une magique sensibilité aussi.


Et c’est là, pour rappel, que Trixi Weis a installé sa «Kamelleschmelz», une fonderie miniature fabriquant des bonbons – visites sur réservation jusqu’au 31 juillet, sur: trixiw@pt.lu.


Aussi là que ILL (collectif de théâtre Independent Little Lies) présente actuellement Doheem – Fragments d’intimités, une pièce en trois tableaux où chant, mouvement et parole cohabitent. «Se basant sur un travail d’exploration de la présence scénique dépouillée et immédiate, les citoyennes de la scène participative "Biergerbühn" en collaboration avec l’équipe artistique d’ILL proposent une enquête sur l’appartenance, la proximité, la distance et le lien». Mise en scène: Elsa Rauchs et Claire Wagener, conception musicale: Catherine Elsen, mise en voix: Sarah Klenes. En français et luxembourgeois. Encore les 15 et 16 juillet, à 21.00h. Infos & réserv.: www.ill.lu


Attention: l’accès à l’atelier FerroForum se fait uniquement à pied ou à vélo, soit par le portail de Schifflange (au bout du blvrd Aloyse Meyer, croisement rue de Lallange et rue du Moulin, comptez 10 minutes), soit par celui de Neudorf (Esch, côté Schlassgoart, comptez 20 minutes).

Et tout n’est pas dit. Sur le même site, mais hors contexte tiers-lieu, et donc juste voisin de l’atelier FerroForum, il y a CUEVA. Un collectif, piloté par Théid Johanns, toujours engagé sur le même principe: «créer des œuvres éphémères dans des endroits qui vont disparaître». Pour le coup, pour sa 7e édition, CUEVA a donc pris ses quartiers dans la Schmelz (ou «Metzeschmelz» comme le disent les Eschois). 32 artistes (du coin ou de Metz, voire de Berlin) y investissent la ruelle principale et «font revivre le site à l’arrêt depuis fin 2012» animés par une seule consigne: la liberté de création. Ouvert chaque week-end, de 10.00 à 20.00h, jusqu’au 30 octobre.


Enfin, pour compléter cette déclaration d’amour au pays des Terres Rouges, en mode marcheur, impossible de ne pas parler du «Minett Trail», chemin de randonnée long de plus de 90 kms qui relie les onze communes de Pro-Sud, menant à travers plusieurs réserves naturelles, forêts, paysages, anciennes mines à ciel ouvert incluses, à l’exemple du «Minett Park» de Fond-de-Gras, dans la commune de Differdange, où prendre le «Train 1900» (train à vapeur historique) et faire un tour dans les wagonnets du «Minièresbunn».


En relation avec le «Minett Trail», Esch2022 propose un programme culturel varié. Des projets, dont certains multidisciplinaires, dessinent tout un voyage d’exploration à travers la région, par des installations, des propositions acoustiques ou visuelles, des randonnées féériques, etc.


En prime, tout au long du chemin randonneur, grâce aux hébergements insolites que sont les «Kabaisercher», les visiteurs ont la possibilité de séjourner plus longuement dans l’une ou l’autre des communes qui émaillent le chemin – consultez le site web d'Esch2022.

En tout cas, notre chemin fait ici halte dans le nouvel espace d’art contemporain, ancien magasin de meubles, qu’est la Konschthal Esch, qui, par la thématique des «metalworks» entend «s’inscrire officiellement dans la culture du design contemporain». De surcroît, par les objets sélectionnés exposés témoignant tous de l’usage contemporain du métal, l’expo instaure «aussi un dialogue discret avec le passé industriel de la région».



En tout, une sélection d’une quarantaine d’objets datant du XXIe siècle. Du mobilier en fer, surtout des chaises (raccord avec l’ancienne activité du lieu). Autant d’«œuvres» à la frontière du design et de l’art contemporain. Alignées – au sol – dans le sobre décor d’acier (et de béton) de la Konschthal. Produites par 20 créateurs qui, penchés sur les priorités physiques et scientifiques du matériau, s’approprient des modes de fabrication. Et finalement, pas simple de distinguer le produit industriel (sériel ou limité) de l’objet artisanal. Certes, devant une chaise à l’abstraite allure d’un diabolo parfaitement poli, il est aisé de se dire que s’asseoir est impossible, mais face à la chaise «la plus légère possible», réalisée comme un fragile tricot de fils, on peut quand même concevoir une fonctionnalité… à condition, toutefois, de peser une plume et d’être contorsionniste !


Il se peut aussi qu’une pièce n’ait strictement rien à voir avec le mobilier. Ce qui légitime derechef que l’expo s’intitule au complet metalworks – designing & making (photo ci-dessus).


En tout cas, c’est indubitable, le corpus d’objets – dû au commissaire d’exposition Georges Zigrand, secondé par Charlotte Masse – fascine pour son fort langage visuel. Circulez tout est à voir, entre les objets qui ont des qualités sculpturales et ceux qui ont un caractère fonctionnel, répartis en seize sections dont chacune illustre une méthode de transformation du métal bien particulière: des techniques artisanales (coulage, martelage, découpage), aux techniques avancées (usinage, superforming) et processus de technologie numérique (impression additive) ou encore inventives (électroformage, gonflage).


On slalome, aidé par une signalétique proche des zébrures des passages pour piétons, entre les propositions gonflées, les prototypes, les spécimens muséaux, les hybridations – comme la pièce mi-banc, mi-fuselage de Thomas Heatherwick «qui a poussé la technique de l’extrusion dans ses retranchements» –, les créations ludiques, les expérimentations poétiques (le martelage en nuage); ça brille, ça cuivre, c’est selon; c’est parfois mou, ou millimétré, parfois fou ou baroque, toujours esthétique.


On croise des stars – comme les frères Ronan and Erwan Bouroullec –, des artistes plus confidentiels aussi (dont le Luxembourgeois Christophe de la Fontaine), et finalement, on n’en finit pas d’apprendre, en tout mangeant des yeux.


Infos:

Konschthal Esch, Espace d’art contemporain, 29-33 blvrd Prince Henri, Esch-sur-Azette: metalworks – designing & making, expo labellisée Esch2022, Capitale européenne de la culture, à (re)voir sans modération jusqu’au 4 septembre. Infos (programme cadre inclus): konschthal.lu



Sans transition aucune, constatant tout de même que la tendance estivale est très sculpturale (la preuve par Nothing is permanent, le parcours eschois du genre), notez encore trois rendez-vous, plein air ou non, sur une diagonale Koerich-Mondorf:


Alors, à Koerich, voici le «Muse symposium», dédié à Melpomène, la déesse grecque du chœur et de la tragédie, mis sur pied par le groupe Sixthfloor, ce, dans une ancienne scierie: c’est là, donc, où la triennale internationale de sculpture précisément baptisée «Muse» – avec Tom Flick, Doru Nuta, Luka Arons e.a. – conjugue ses langages du 13 au 31 juillet, de 14.00h à 18.00h (vernissage le 16/07, 18.00h).


Sinon, le Parc thermal de Mondorf-les-Bains n’est pas en reste qui accueille 10 artistes (des sculpteurs, dont Jhemp Bastin, Sylvain Divo, Florence Hoffmann, Laurent Turping, Assy Jans, et autres plasticiens «protéiformes», à l’exemple de Mo ou de Rafael Springer) jusqu’au 30 septembre, avec un vernissage prévu le 17 juillet, à 10.30h, devant le Musée de l’aviation luxembourgeoise (chemin jusqu’à la Roseraie).


Enfin, on retrouve Florence Hoffmann à Kehlen, à la galerie Bei der Kierch, à l’oeuvre du 14 au 17 juillet dans l’expo E Bléck no vir - Aller de l'avant, quatre jours de soutien aux artistes sinistré.e.s par l'inondation de l'an dernier.


Ce qui ne devrait pas vous empêcher de repiquer sur Luxembourg, pour un autre rendez-vous devenu traditionnel, celui de la Photothèque de la Ville de Luxembourg qui installe son expo estivale Luxembourg 360° – la capitale à travers des collections photographiques inédites au Cercle Cité (entrée rue du Curé). Le vernissage a lieu vendredi 15 juillet, à 17.00h.

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