«Faute de grives, on mange des merles», cette vieille expression aujourd’hui vidée de son origine ornithologique, signifie qu’à défaut d’avoir ce qu’on veut, on se contente de ce que l’on a. Appliquée aux arts de la scène, ça donne ce qui, pour les uns, est une panacée et pour les autres, un piège, à savoir: le streaming. Eh quoi, diffuser en ligne, «n’est-ce pas trahir la nature même d’un spectacle, par essence vivant, interactif et éphémère»?
Alors, exit l’écran, celui-là qui lisse les corps et surtout, aplanit l’émotion.
Et justement, désormais, ça frémit. Du moins, au Luxembourg. Les théâtres lèvent leur rideau (dans le strict respect de mesures sanitaires… très strictes: une rangée sur deux, et un siège sur trois dans la même rangée). Les «pour» questionnent les «contre» dans un public tétanisé par le spectre viral mais en même temps complètement desséché par le manque. Le manque de rituels. De ces rituels proches de la communion (sociale, mais pas seulement) que l’art, le théâtre en particulier, incarne par nature.
En 4 consonnes et 3 voyelles, le théâtre peut exorciser les émotions individuelles et collectives, éponger la sensation de perdition, doper l’imagination, éclairer les ombres, les vies rétrécies, dynamiter la mécanique des mensonges, des désamours, déranger aussi et parfois trouver des sorties aux impasses (fût-ce par l’humour, pas juste pour faire rire).
Donc, à ce point essentiel qu’il y a lieu de s’interroger sur l’injonction (politicienne) obstinée de confiner le spectacle vivant dans le futile. A ce point essentiel d’ailleurs que la sphère privée le sollicite, au chevet de l’intime, et que des comédiens ont ainsi créé «Beyond the spoken», un florilège de rituels – dansés, chantés, récités, cousus, brodés – censés enterrer nos pertes (décès, séparation, burn-out, maladie, licenciement) ou, déjà, les digérer et les dépasser (l’initiative est due à Barbara Raes, ancienne directrice artistique du Centre d’arts BUDA, Courtrai).
Que l’initiative essaime ou pas, en attendant, au Luxembourg, l’hiver s’accroche aux planches. Et si le bâton servant à frapper les trois coups sur la scène a disparu – bâton perfidement appelé «brigadier» –, cela n’empêche pas le théâtre de réinventer la boussole: «c’est là où l’on t’emmène» (dixit Orson Welles).
Alors, voici une sélection de pièces piochée au Théâtre d’Esch et au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg, là où, précisément, tout commence ce 15 janvier, avec Breaking the Waves (voir photo) dont la tournée avortée pour cause de Covid permet au public luxembourgeois d’en profiter au moins une soirée (ouverture avancée à 19.00h, vu la longueur du spectacle, ce qui malheureusement n’autorise toujours pas le déplacement des frontaliers belges, leur couvre-feu restant fixé à 22.00h – et ça vaut pour moult autres spectacles!).
A sa création au cours de la saison 18-19, l’histoire aussi perverse qu’extraordinaire que charrie Breaking the Waves – d’après le scénario de Lars von Trier, dans une adaptation pour le théâtre de Vivian Nielsen, traduite en français – a connu un succès retentissant, grâce à l’impressionnante mise en scène de Myriam Muller et grâce à Chloé Winkel, alias Bess, qui irradie. Ça se passe sur «une île isolée. Un monde clos, sectaire et hyper religieux. Bess se marie à Jan, un homme plus âgé travaillant sur une plate-forme pétrolière. Leur relation est passionnelle. Après un accident, Jan se retrouve incapable de bouger et d’avoir des relations sexuelles. Il ne veut pas que Bess reste attachée à un homme paralysé, et souhaite qu’elle continue à vivre. Il lui demande de coucher avec d’autres hommes et de lui raconter les détails. Bess accepte et connaît des relations de plus en plus déviantes et dangereuses, malgré l’hostilité de sa famille et le poids de la religion de son village».
On poursuit avec Moulins à paroles, une création du TOL (Théâtre Ouvert Luxembourg), accueilli au Grand Théâtre en vertu du «Partage de plateaux», cette formule de mutualisation des forces créatives mise en place pour aider les petits théâtres à encore exister.
Moulins à Paroles, est une suite de monologues, trois textes éblouissants et d’une précision tyrannique – «un concentré d’émotions contraires, une expérience surprenante et profondément humaine» – écrits par le romancier, dramaturge et scénariste britannique Alan Bennett.
Leslie (Céline Camara), Doris (Monique Reuter) et Graham (Jean-Marc Barthélemy), pensent tout haut, chacun à leur tour, confessant avec une naïveté désarmante leur vie étriquée, vécue dans l’ombre.
C’est la 2e fois que le Théâtre Ouvert Luxembourg remouline les histoires de Bennett. Véronique Fauconnet, la directrice du TOL, qui a incarné un personnage dans la saison 1 en 2017, s’en explique: «C'est le côté humain de l'écriture de Bennett qui me touche le plus. On dirait aujourd'hui que ces personnages sont des "loosers" et comme Bennett n'est pas manichéen, ils n'ont pas un grand coeur, ils sont petits mais terriblement attachants, ils sont drôles mais aussi pathétique, tristes mais plein de force. Peut-être nous ressemblent-ils bien que leur vie soit dramatique. L'écriture de Bennett est de la dentelle, tout peut être compris dans un court silence».
Moulins à paroles reste à l’affiche pour 9 dates: les 20, 21, 22, 23, 28, 29, 30 janvier à 20.00h, les 24 & 31 janvier à 17.00h, au Studio du Grand Théâtre. Infos et réserv.: www.tol.lu ou www.luxembourg-ticket.lu, tél.: 47.08.95-1.
Ensuite, on se téléporte au Théâtre des Capucins. Pour du classique. En compagnie de Musset. Apparemment, la création de On ne badine pas avec l’amour – avec Ninon Brétécher, Joël Delsaut, Sophie Mousel et Jérôme Varanfrain notamment, dans une mise en scène de Laurent Delvert, ancien assistant d’Ivo van Hove avec qui «il semble partager un esthétisme empreint de modernité élégante et d’intense poésie» -–, la création de cette pièce en 3 actes aura lieu telle qu’initialement prévue les 26, 28, 29 et 30 janvier, à 20.00h, et les 2 & 3 février, toujours à 20.00h, mais, donc, au Théâtre des Capucins (réservations: info@luxembourgticket.lu/ tél.: 47.08.95-1).
Slalom à Esch-sur-Alzette, au Théâtre municipal qui revisite aussi du classique pour sa réouverture, les 21 et 22 janvier (20.00h), avec Le menteur de Corneille. «Cette comédie du XVIIe siècle en forme de boule à facettes», dit Julia Vidit, la metteure en scène, «nous emporte joyeusement vers des interrogations profondes et contemporaines. La place de l’écran, la place des femmes, mais aussi la place de la langue et des conventions. Le mensonge, lui, n’est pas seulement le pied d’appel du pouvoir... il embrasse tous les sujets».
Autre création ancrée dans le concret quotidien, Les Frontalières (voir photo), un projet (bilingue) de théâtre documentaire (initié par Sophie Langevin), bousculé par la pandémie et donc adapté au printemps sous forme de spectacle sonore diffusé par podcasts, mais qui connaît aujourd’hui une version scénique, en avant-première le 31 janvier.
Ni une lecture ordinaire, ni une succession de témoignages, mais une forme éphémère «qui relate, par les voix de quatre comédiennes "passeuses" d’une parole réelle, les vies de ces femmes belges, françaises, allemandes et luxembourgeoises en voyage constant entre deux frontières, deux cultures qui forment des identités singulières et complexes à découvrir et reconnaître».
Ça ne se rate pas le dimanche 31 janvier à 14.30h et à 17.00h (avec table ronde dans la foulée de la séance de 17.00h, organisée par l’Asti). Réservation (pour Les Frontalières comme pour Le menteur), tél.: 2754 -5010/5020 ou reservation.theatre@villeesch.lu
Une seconde représentation aura lieu au Grand Théâtre du Luxembourg le 24 février 2021.
Et pour conclure, parce que la musique adoucit les mœurs, je m’en voudrais de ne pas épingler «Reset», à neimënster (ou Centre culturel de rencontre Abbaye de Neumünster, Luxembourg-Grund), les 15 et 16 janvier.
Pour ce festival monté en sauce jazz par le compositeur et vibraphoniste luxembourgeois Pascal Schumacher – festival bien sûr adapté au contexte sanitaire exceptionnel –, huit musiciens et musiciennes de huit pays différents – quatre hommes et quatre femmes, Ken Allars (Australie, trompette), Franzi Aller (Allemagne, basse), Kristin Berardi (Australie, chant), Sophie Bernado (France, basson), Tuur Florizoone (Belgique, accordéon), Balint Gyémánt (Hongrie, guitare), Florence Kraus (Luxembourg, saxophone) et João Lobo (Portugal, percussions) – ont partagé une résidence d’une semaine. Avec, au final, un modèle de concert hybride, soit, d’une part, accessible à un public restreint et d’autre part, diffusé simultanément en streaming.
Concrètement, le 15 janvier, à 20.00h, les artistes associés en duos et trios donneront la mesure tout le long d’un parcours à travers les différents espaces de neimënster. Et les concerts d’une durée de 20’ ou 25’ seront suivis d’intermèdes de Pascal Schumacher. Entrée libre sur réservation et retransmission en direct sur Facebook, Youtube et sur la chaîne culturelle luxembourgeoise KUK – de Kulturkanal.
Et puis, le 16 janvier, découverte des expériences conjuguées en un concert de clôture double puisque prévu, dans la salle Krieps, à 18.00h et à 20.00h. Réservation: billetterie@neimenster.lu, tél.: 26.20.52.444.
Sinon, sur le même diapason, il serait inconcevable de zapper le concert de la volcanique Morgane Ji, la «Creole Queen» au banjo électrique (voir photo), qui se frotte à la baguette de Gast Waltzing et aux instruments de l’Orchestre National de Jazz du Luxembourg, ce, le 24 janvier, au Escher Theater, pour deux représentations à 14.30h et 17.00h.
Enfin, ne résistez pas non plus à circuler dans le singulier programme concocté par le Kinneksbond, Centre culturel Mamer…
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